Équilibrer la hausse de la population canadienne

Beata Caranci, économiste en chef et première vice-présidente | 416-982-8067
James Orlando, CFA, directeur général et économiste principal | 416-413-3180
Rishi Sondhi, économiste | 416-983-8806 

date publiée: 26 juillet 2023

télécharger

version imprimée

partagez ceci:

 

De nombreuses scènes mémorables du film Karaté Kid offrent des leçons de vie, et certaines pourraient même intéresser les décideurs. La forte croissance de la population canadienne nous rappelle Daniel qui se tient en équilibre sur l’avant d’une chaloupe avec M. Miyagi qui lui dit : « Apprendre d’abord équilibre. Équilibre est la clé, équilibre est bon. ».

Depuis des années, les économistes préviennent que le vieillissement des populations déséquilibrera l'économie en exerçant une pression sur la croissance économique, les recettes fiscales et le système social. L’augmentation du nombre d’immigrants qualifiés représentait une solution. Les politiques gouvernementales ont porté leurs fruits, mais il reste à savoir si la hausse subite de la population a été trop marquée et trop rapide.

Mieux apprendre l'équilibre. L'équilibre est la clé, l'équilibre est bon… ».
- M.Miyagi The Karate Kid 1984, silhouette verte d'un garçon en équilibre sur un bateau et d'un homme assis à droite.

Faits saillants

  • La population canadienne a grimpé de 1,2 million de personnes au cours des 12 derniers mois. Le soutien positif au marché de l’emploi et aux risques de croissance économique a pour effet d’aggraver les perturbations dans d’autres segments de l’économie.
  • Le maintien d’une stratégie d’immigration à forte croissance pourrait accroître la pénurie de logements d’environ un demi-million d’unités en seulement deux ans. Il est peu probable que les récentes politiques gouvernementales visant à accélérer la construction offrent un répit en raison de la courte période et du décalage naturel dans le rajustement de l’offre. 
  • De plus, nous estimons que le taux d’intérêt neutre augmenterait de 50 points de base de plus que les hypothèses précédentes sur la croissance de la population.
  • La forte croissance de la population est un exemple classique de choc de la demande. Si elle se maintient au fil du temps, l’augmentation des bénéfices sectoriels, du revenu du travail et des recettes fiscales aidera à réaligner les priorités sur ce qui est en forte demande par rapport à ce qui est en pénurie. Toutefois, les mots clés ici sont « au fil du temps ». La rapidité des changements détermine si les facteurs économiques et sociaux peuvent « rattraper le retard ».
  • Les décideurs doivent trouver le juste équilibre entre la capacité d’absorber la croissance de la population dans les infrastructures économiques et sociales, et la capacité de tirer parti des politiques pour mieux utiliser la main-d’œuvre actuelle et intégrer les nouveaux Canadiens.
Le graphique 1 illustre la variation annuelle de la population canadienne en milliers de personnes entre 1990 et 2023. Il montre qu’il y a eu une forte hausse à compter de 2022 par rapport aux données historiques.

La population canadienne a augmenté de 1,2 million au cours de la dernière année, soit plus du double qu’en 2019 et durant les années précédentes (graphique 1). À titre de comparaison, la population américaine, qui est près de dix fois plus importante, est estimé avoir augmenté de 1,7 million au cours de la même période. Cette « grande migration canadienne » a suscité à la fois de l’optimisme et de l’appréhension.

Le Canada a franchi cette étape en utilisant deux leviers. Chaque année, le pays a relevé ses cibles d’immigration, qui sont fixées à 500 000 personnes par année d’ici 2025. Mais, plus récemment, le facteur le plus important a été la facilitation de l’entrée en plus grand nombre de résidents non permanents (RNP). De ce million et plus de nouveaux arrivants, 60 % faisaient partie de la catégorie des RNP. Les RNP font partie intégrante du plan d’immigration du Canada visant à résoudre les pénuries de main-d’œuvre, mais la vitesse à laquelle ils sont arrivés n’était pas prévue et a pris au dépourvu de nombreux économistes. Les évaluations du futur parc de logements, aux fins d’achat ou de location, révélaient déjà une détérioration de l’abordabilité à l’échelle du pays, même avant cet afflux soudain. Nous estimons que le maintien d’une stratégie d’immigration à forte croissance accroîtrait la pénurie de logements d’environ un demi-million d’unités en seulement deux ans. Il est peu probable que les récentes politiques gouvernementales visant à accélérer la construction offrent un répit en raison de la courte période et du décalage naturel dans le rajustement de l’offre.

Reconnaissant leur importance, le comité consultatif fédéral canadien a recommandé de doubler le nombre d’étudiants étrangers, le faisant passer d’environ 240 000 en 2011 à 450 000 en 2022. Toutefois, les établissements d’enseignement canadiens ont largement dépassé ces recommandations, 807 000 permis d’études ayant été en circulation l’an dernier.

Et les pressions sociales ne se limitent pas au logement. L’OCDE estime qu’en 2019, le Canada s’est classé au 31e rang sur 34 pays pour le nombre de lits d’hôpital par habitant pour des soins de courte durée. Ce classement ne s’est probablement pas amélioré compte tenu de l’augmentation rapide de la population, et ce, malgré le fait que les gouvernements provinciaux et fédéral ont établi une stratégie de recrutement de travailleurs de la santé et accéléré le processus. En outre, les infrastructures doivent prendre de l’expansion, et la position de départ du Canada était déjà désavantageuse à ces niveaux. 

Bien que, d’une part, la pénurie de main-d’œuvre soit en train de se régler, d’autre part, les infrastructures ne sont pas appropriées pour absorber cet afflux important de personnes, en particulier si l’intention est de maintenir cette stratégie à long terme. Les politiques doivent trouver un équilibre avec une croissance durable pour éviter de faire basculer l’économie. Comme M. Miyagi l’a dit, chaque aspect de la vie doit être équilibré. Les économistes pourraient adapter cette citation en disant que tout l’écosystème doit être équilibré, du logement à la capacité médicale, en passant par les plateformes de soutien social. Il faut réfléchir davantage à ce qu’est un taux d’absorption réel pour la croissance de la population, et faire des estimations plus précises. Les politiques ne peuvent pas être uniquement axées sur les exigences perçues des employeurs, et même des établissements d’enseignement.

La question à un million de personnes…

… est-ce que le phénomène se répétera?

Le graphique 2 présente les secteurs d’activité canadiens qui comptent la plus forte proportion de travailleurs étrangers temporaires. Il montre une plus grande part dans les secteurs des services, comme l’hébergement et la restauration.

Selon les premières indications, l’accélération rapide de la croissance démographique se poursuivra au moins jusqu’en 2023. Le classement RNP est un fourre-tout pour les personnes qui détiennent un permis de travail, un permis d’études ou un statut de réfugié. Les trois catégories demeurent en hausse. L’an dernier, le gouvernement canadien a tenté de remédier aux pénuries de main-d’œuvre de diverses façons1, notamment en éliminant la limite quant au nombre de postes à faible salaire qu’une entreprise peut pourvoir au moyen de travailleurs étrangers temporaires (TET) dans les secteurs saisonniers. Les entreprises ont également vu la limite des TET admissibles augmenter à 20 % de leur effectif. À l’heure actuelle, il n’y a pas de délai précis avant que cette limite revienne au taux initial de 10 %. De plus, les entreprises œuvrant dans certains secteurs où les postes vacants sont nombreux pourraient même faire passer leur main-d’œuvre internationale à 30 %. Cette politique devrait rester en vigueur jusqu’en octobre 2023. La combinaison de ces mesures a entraîné une hausse de 68 % du nombre de postes approuvés pour les TET en 2022. La plus forte proportion de ces postes, soit plus de 40 %, se trouvaient dans les secteurs de l’agriculture, de la foresterie, de la pêche et de la chasse, suivis de ceux de la fabrication et de la restauration et l’hébergement (graphique 2).

Le Canada continue également d’absorber une forte augmentation du nombre d’étudiants étrangers, dont bon nombre font aussi partie de la population active. Pour ce groupe aussi, à juste titre, le gouvernement a facilité la démarche pour devenir résident permanent et immigrer. Il s’agit d’un honneur pour le Canada d’être grandement ciblé par les meilleurs étudiants de partout dans le monde. Reconnaissant leur importance, le comité consultatif fédéral canadien a recommandé de doubler le nombre d’étudiants étrangers, le faisant passer d’environ 240 000 en 2011 à 450 000 en 2022. Toutefois, les établissements d’enseignement canadiens ont largement dépassé ces recommandations, 807 000 permis d’études ayant été en circulation l’an dernier (figure 1)2. En fait, les établissements d’enseignement ont d’abord dépassé la cible recommandée en 2017 et ne sont jamais revenus en arrière. Cette question a beaucoup retenu l’attention. Les établissements d’enseignement ont profité de la hausse des frais de scolarité des étudiants étrangers, mais il semble y avoir peu de coordination et de surveillance de la capacité quant au nombre d’étudiants à l’échelle nationale. Les étudiants étrangers doivent être intégrés à l’infrastructure sociale actuelle du Canada, qu’il s’agisse d’options de logement abordable ou de capacité en matière de soins de santé3.

La dernière catégorie de RNP est constituée des demandeurs d’asile. Leur nombre varie d’une année à l’autre selon les événements mondiaux, mais a atteint une moyenne de 30 000 personnes de 2011 à 20214. Toutefois, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a forcé des millions de personnes à se déplacer et le Canada est intervenu pour leur offrir refuge. Un peu plus 1,1 million de demandes ont été soumises dans le cadre de l’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine et, à ce jour, environ 800 000 demandeurs ont été approuvés. De ce nombre, 169 000 personnes sont entrées au pays sur une période de 15 mois. Il est difficile de savoir combien de personnes parmi les demandeurs approuvés restants entreront réellement au pays, étant donné que certains ont peut-être choisi d’autres endroits depuis. Quoi qu’il en soit, le nombre d’entrées actuelles et potentielles est important et nécessite une planification des ressources à long terme. La résidence temporaire dure trois ans, après quoi diverses démarches sont aussi offertes pour obtenir la résidence permanente. 

Tous ces facteurs suggèrent que 2023 sera une autre année au cours de laquelle un million de personnes s’ajouteront à la population, et peut-être même plus.

Les avantages et les inconvénients d’une garantie du gouvernement

Bien avant les récents changements visant à bonifier la politique d’immigration, le Canada était réputé pour son recrutement efficace de travailleurs partout dans le monde. L’administration Trump aux États-Unis a même envisagé de reproduire son succès. Une des raisons pour lesquelles le Canada est une force de recrutement internationale est sa capacité à modifier rapidement ses politiques. Cela a été récemment mis en évidence avec l’annonce de la Stratégie pour les talents technologiques. Entre autres mesures, les titulaires d’un visa américain H-1B (et les membres de leur famille qui les accompagnent) ont pu recevoir des permis de travail canadiens5

Le graphique 3 présente la croissance de l’emploi attribuable à la population selon des variations mensuelles par millier de personnes de 2016 à 2023. Il montre que la tendance de l’emploi alimentée par la population passe à un niveau supérieur.

Le fruit des efforts du Canada est évident sur le marché de l’emploi. Depuis le printemps dernier, la croissance mensuelle de l’emploi a été en moyenne d’environ 40 000, comparativement à la tendance de 20 000 de 2010 à 2019 (graphique 3). Malgré ce rythme, il reste environ 800 000 postes vacants. Sans la solide croissance de la population active, le taux de chômage aurait pu chuter aussi bas que 4,5 %, plutôt que de se stabiliser dans une fourchette de 4,9 % à 5,4 %, qui a déjà entraîné de fortes pressions salariales. Dans un monde hypothétique, les répercussions sur l’inflation auraient pu être plus importantes, et la Banque du Canada (BdC) n’aurait pas pu se permettre de ne pas relever les taux au printemps. 

Mais il est difficile d’en être certain. L’afflux de population, à court terme, a aussi pour effet d’établir un plancher pour la croissance du PIB du pays, lequel pourrait entraîner une sensibilité moindre aux fluctuations des taux d’intérêt ou de plus longs décalages. Les dépenses de consommation ont dépassé les attentes, propulsant le Canada au premier rang des pays du G7 pour ce qui est de la croissance du PIB au premier trimestre de 2023. Pour déterminer si les parties sont égales au tout, les économistes ont commencé à privilégier d’autres mesures pour évaluer la santé économique sous-jacente. De plus en plus, on fait référence aux mesures par habitant, qui révèlent une stagnation généralisée de l’économie au cours des deux derniers trimestres, tandis que d’autres pays, comme les États-Unis, progressent rapidement malgré une croissance beaucoup moins forte de la population. Même récemment, le Conference Board du Canada a inventé l’expression « city-cessions » (soit des récessions dans certaines villes) pour décrire la baisse des dépenses de consommation par habitant dans la majorité des grands centres urbains. Ce concept aide à expliquer comment les Canadiens peuvent ressentir des pressions sur leur qualité de vie, tout en affichant certaines des meilleures données sur les dépenses et la croissance économique parmi les pays comparables. 

Le tout est plus grand que les parties. Dans le monde de la BdC, l’établissement des taux d’intérêt doit tenir compte du tout, ce qui fait en sorte que les parties se portent moins bien avec le temps.

Maintenant que les tensions liées à l’après-pandémie sont presque chose du passé, la prochaine étape pour le marché de l’emploi est moins évidente. La plupart des postes vacants demeurent dans des secteurs où les salaires et le niveau de compétences requises sont plus faibles6. Une récente étude de Statistique Canada a déjà révélé que les travailleurs nouvellement arrivés au Canada sont sous-employés par rapport à leur niveau de compétences7. En retour, cette « garantie du gouvernement » d’importer un plus grand nombre de travailleurs de tous les niveaux de compétence pourrait dissuader les employeurs à remédier à la faiblesse chronique de la productivité et aux inefficiences du marché de l’emploi. Selon l’OCDE, le Canada se classait déjà au dernier rang des pays du G7 au chapitre des investissements dans la recherche et le développement. Pire encore, l’institution prévoit que le pays restera en queue de peloton au cours de la prochaine décennie en ce qui concerne le PIB par habitant. 

Cela a d’importantes répercussions sur la compétitivité du Canada à l’échelle mondiale. Il est important d’offrir les bonnes mesures incitatives pour équilibrer la disponibilité de la main-d’œuvre et les investissements visant à améliorer la productivité. Les secteurs qui embauchent plus de TET affichent également une productivité de la main-d’œuvre plus faible. Il s’agit du premier exemple mettant en garde contre le recours excessif à l’immigration comme solution ultime au vieillissement de la population. D’autres exemples de mise en garde peuvent également être observés au sein du tissu social du Canada. 

Le marché de l’habitation est pénalisé 

Le marché de l’habitation est l’exemple le plus évident. Nous avons estimé qu’entre 2023 et 2025, le Canada pourrait ne pas parvenir à répondre à la demande en logements correspondant à la croissance démographique d’environ 215 000 unités, alors que la forte croissance de la population se heurte au cycle baissier de la construction résidentielle. Toutefois, cette prévision suppose que la croissance de la population finira par revenir aux tendances prévues avant l’élargissement des politiques relatives aux résidents non permanents qui visaient à répondre aux perturbations causées par la pandémie. 

Si cela ne se produit pas et que le Canada reproduit le cycle d’entrées record de l’année dernière, l’écart entre l’offre et la demande de logements augmentera pour atteindre plus de 500 000 unités d’ici 2025. Ce qui est peut-être encore plus préoccupant, c’est que même si la croissance de la population ralentissait pour revenir à une moyenne à long terme inférieure à notre trajectoire de base, le pays afficherait encore une pénurie d’environ 150 000 unités. Autrement dit, dans chaque scénario, l’offre de logements peinera à suivre l’augmentation rapide de la population au Canada. Une amélioration marquée de l’abordabilité restera probablement difficile. 

Cela s’explique en partie par le fait que l’offre est déjà insuffisante et qu’elle évolue naturellement avec un décalage par rapport à la demande. Afin d’améliorer les délais de construction, les gouvernements tentent d’éliminer certaines barrières. En Ontario, par exemple, la ville de Toronto a approuvé des changements qui favorisent la densité et le gouvernement provincial a décidé de réduire les droits d’aménagement des logements locatifs. Même si ces changements aident à motiver les constructeurs résidentiels à agir, selon le calendrier de construction habituel, il faut des années pour profiter des avantages d’un taux d’achèvement plus élevé. Si l’on suppose, de façon audacieuse, que ces politiques permettront aux constructeurs résidentiels d’atteindre et de maintenir un taux d’achèvement record, il y aurait tout de même une pénurie de logements si la population canadienne continue d’augmenter d’un million d’habitants ou plus par année. Pour compliquer encore les choses, comme nous l’expliquons dans la prochaine section, une forte croissance de la population peut entraîner un taux d’intérêt structurel plus élevé, ce qui peut éroder la rentabilité de la construction, tout en érodant l’abordabilité pour les propriétaires. Somme toute, les préoccupations entourant l’abordabilité ne s’atténueront probablement pas dans un avenir prévisible. Cette mise en garde au sujet des pressions sur le marché de l’habitation peut s’appliquer à de nombreux autres segments de la société, des systèmes sociaux aux soins de santé, en passant par les infrastructures physiques. Tout doit être équilibré. 

Que doit faire la BdC?

Le graphique 4 présente les prévisions de base actuelles des Services économiques TD et les prévisions hypothétiques quant au taux directeur de la Banque du Canada en pourcentage de 2022 à 2025. Il montre que le taux directeur n’aurait pas besoin d’augmenter autant en l’absence de la forte hausse de la population.

La forte croissance de la population est un exemple classique de choc de la demande. Les gens qui s’installent au Canada deviennent immédiatement des consommateurs à la recherche de tout; un logement, des vêtements, des meubles, des voitures, etc. Bien que les économistes signalent un ralentissement des habitudes de dépenses par habitant des ménages, l’impact global de la croissance de la population est ce qui amplifie le décalage avec l’offre et, à terme, alimente les pressions sur les prix. Ce décalage est le plus marqué à court terme, car le choc de la demande dépasse la capacité de l’économie à réagir rapidement. Au fil du temps, l’augmentation des bénéfices sectoriels, du revenu du travail et des recettes fiscales aidera à réaligner les priorités sur ce qui est en forte demande par rapport à ce qui est en pénurie. Toutefois, les mots clés de cette phrase sont « au fil du temps ». La rapidité des changements détermine si les facteurs économiques et sociaux peuvent rattraper le retard. 

Qu’est-ce que cela signifie pour la BdC? La banque centrale a pour seul mandat d’assurer un contexte inflationniste stable, de sorte que tout choc de la demande qui persiste devra probablement être géré au moyen d’une hausse des taux d’intérêt (en l’absence d’une hausse compensatoire de la productivité, ce qui n’est pas la force du Canada). Nous avons calculé que le niveau neutre des taux d’intérêt augmenterait de 50 points de base de plus pour faire contrepoids aux cibles d’immigration du gouvernement fédéral par rapport aux hypothèses précédentes sur la croissance de la population (graphique 4). Et il n’y a pas de solution facile en ce qui a trait à l’inflation des prix des maisons. Comme mentionné dans un rapport précédent8, il s’agit d’un secteur de l’économie qui peut être particulièrement problématique en raison de sa vaste portée, puisqu’il a une influence directe sur les prix au sein de l’économie, ainsi que des attentes inflationnistes futures.

Aller de l’avant

Bien que la croissance de la population soit une bonne chose et un remède nécessaire au vieillissement de la population du pays (graphique 5)9, les avantages s’effritent si elle se produit trop rapidement par rapport à la capacité d’un pays de planifier et d’absorber de nouveaux arrivants au sein de l’infrastructure économique et sociale. Les tensions chroniques peuvent rapidement devenir aiguës pour les provinces et les villes qui absorbent une part plus élevée de la population. Les perturbations s’élargissent, créant une stratégie de rattrapage encore plus vaste pour régler les problèmes d’abordabilité du logement et de qualité de vie. 

Le graphique 5 présente le pourcentage de diverses cohortes d’âge en proportion de la population, répartie entre les 0-19 ans, les 20-64 ans et les 65 ans et plus de 1971 à 2061. Il y a une proportion croissante de 65 ans et plus par rapport à la population en âge de travailler (20-64).

Une partie de la solution consiste à utiliser tous les leviers disponibles. De nombreux éléments probants indiquent que l’élimination des obstacles en milieu de travail peut libérer l’offre au sein de la population actuelle, tout en permettant aux gens d’obtenir les postes qui correspondent à leurs champs de compétences. Par exemple, dans un récent rapport, nous avons souligné à quel point le travail flexible et la baisse des frais de garde ont entraîné une forte augmentation du nombre de mères avec de jeunes enfants sur le marché du travail10. Leur taux de participation a bondi de 4 points de pourcentage depuis 2020. Il s’agit d’un rythme qui a plus que doublé par rapport aux trois années précédentes et d’une accélération plus rapide que le reste de la population féminine. Imaginez à quel point le marché de l’emploi serait plus serré sans cette centaine de milliers de femmes de plus, dont les postes sont en grande partie à temps plein. Pour maintenir cet afflux de travailleurs, le Canada doit en faire plus pour créer les places nécessaires en services de garde, qui, selon nous, afficheront un manque à gagner de 243 000 à 315 000 places d’ici 2026. 

D’autres exemples existent, comme les récentes initiatives visant à réduire les obstacles à la reconnaissance des titres de compétence des professionnels de la santé, des ingénieurs et d’autres professionnels. Par exemple, le Collège des infirmières et infirmiers autorisés d’Alberta a simplifié son processus d’inscription11, ce qui a donné lieu à une marée d’inscriptions d’infirmières et d’infirmiers formés à l’étranger qui vivent déjà au pays. Autrement dit, ces personnes étaient déjà intégrées dans le système de logement/social existant et ne représentaient pas une hausse de la demande. Un autre exemple est l’Ordre des ingénieurs de l’Ontario qui a récemment éliminé la nécessité d’avoir une « expérience canadienne » comme condition d’admissibilité12, ce qui devrait aussi avoir pour effet d’attirer des professionnels qui sont déjà au pays. Ces révisions doivent avoir lieu à tous les niveaux pour remettre en question les barrières que nous nous sommes imposées, y compris dans le secteur des métiers où des pénuries ont été signalées dans de nombreux domaines spécialisés de la construction. La plupart des métiers exigent de deux à cinq ans de formation13. Par exemple, le nombre d’heures comme apprenti pour devenir électricien en Ontario, soit 9 000 heures, est-il toujours optimal? Il s’agit d’une période d’environ cinq ans (ou plus, selon le nombre d’heures qu’une personne peut obtenir d’un employeur). Que faut-il faire pour accélérer l’apprentissage et les exigences de sécurité? Les obstacles à la main-d’œuvre peuvent prendre diverses formes. 

Plus les employeurs, les institutions et les gouvernements canadiens éliminent les obstacles en milieu de travail, plus la pression exercée sur d’autres segments du système social, comme la demande de logements et de services de soins de santé, peut être allégée, en limitant la mesure dans laquelle les pénuries de main-d’œuvre mènent à un recrutement externe plus élevé. Cela devra encore se produire, mais ces statistiques nous rappellent d’utiliser les deux leviers pour éliminer les frictions. 

Beaucoup de choses peuvent être faites pour mieux intégrer les nouveaux arrivants et les personnes déjà établies afin qu’ils puissent atteindre leur plein potentiel. Il ne suffit pas de faire appel à un nombre incontrôlé de personnes pour occuper les emplois moins bien rémunérés qui sont offerts, en particulier si cette stratégie sous-utilise la main-d’œuvre et décourage les entreprises d’investir. L’économie canadienne est déjà à la traîne de ses pairs pour ce qui est des investissements dans les technologies améliorant la productivité. Pour que le pays puisse connaître du succès, il faut que les politiques soient équilibrées afin qu’une infrastructure appropriée soit en place pour faire ressortir le meilleur des travailleurs et des familles. De cette façon, la tarte économique n’augmentera pas seulement en taille, mais aussi en qualité

Avis de non-responsabilité