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Le resserrement de l’immigration a-t-il les répercussions prévues au Canada? 

Beata Caranci, première vice-présidente et économiste en chef | 416-982-8067

Marc Ercolao, économiste | 416-983-0686

date publiée: 28 octobre 2025

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Faits saillants

  • Le ralentissement rapide de la croissance démographique du Canada entraîne un assouplissement des pressions sur les infrastructures sociales et économiques.
  • La réduction de l’immigration a atténué la demande de logements construits expressément pour la location et, par conséquent, la croissance des loyers. Nous estimons que la croissance des loyers sera probablement inférieure de deux points de pourcentage en moyenne que le scénario hypothétique du maintien d’une croissance démographique élevée. Les loyers demandés pour les logements en copropriété connaissent également la chute la plus rapide dans les territoires les plus exposés aux baisses de l’immigration.
  • Le taux de chômage du Canada serait d’au moins un point de pourcentage plus élevé si la croissance de l’immigration s’était poursuivie au même rythme.
  • Toutefois, l’absence d’un ralentissement parallèle des dépenses des ménages s’avère être une surprise.
Le graphique 1 montre le taux de croissance de la population canadienne de 2016 à aujourd’hui. Au troisième trimestre de 2025, la croissance de la population s’établissait à 1,0 % sur 12 mois, en baisse par rapport à son sommet de 3,3 % sur 12 mois au deuxième trimestre de 2024. La croissance historique moyenne de la population se situe entre 1,2 % et 1,4 % sur 12 mois.

L’an dernier, les décideurs ont reconnu que le taux d’immigration était trop élevé par rapport à l’état de préparation de l’infrastructure sociale et économique du Canada. Le taux de chômage avait augmenté de plus d’un point de pourcentage entre 2022 et 2024, les entreprises ayant eu de la difficulté à suivre l’augmentation rapide du nombre de travailleurs. De plus, l’abordabilité des logements s’est fortement détériorée. En guise de solution, le gouvernement a mis en place un plan d’immigration dans le but d’établir des cibles de résidents permanents et non permanents appropriées afin de permettre un certain « rattrapage » dans les infrastructures nécessaires. Ce changement de politique a eu un effet manifeste sur la croissance démographique du Canada, qui est passée de 3,2 % au deuxième trimestre de 2024, un sommet de plusieurs décennies, à seulement 0,9 % (graphique 1). 

Mais a-t-il permis d’obtenir les résultats escomptés en ce qui a trait au logement et au marché de l’emploi? En un mot, oui. Toutefois, la véritable surprise réside dans la résilience des dépenses des ménages. Malgré l’effondrement de la croissance démographique, il n’y a pas eu de baisse parallèle de la demande de biens et de services de la part des consommateurs. 

Un répit pour certains segments du marché de l’habitation et un impact limité par les forces structurelles

Le graphique 2 présente une prévision annuelle de base de la croissance des loyers des logements construits expressément pour la location par rapport à un scénario contrefactuel fondé sur l’hypothèse d’une population plus élevée. Nos prévisions de base prévoient une croissance des loyers des logements construits expressément pour la location de 5,1 % sur 12 mois pour 2025, de 3,3 % sur 12 mois pour 2026 et de 1,8 % sur 12 mois pour 2027. Dans le scénario contrefactuel, la croissance des loyers aurait été de 6,1 %, 5,8 % et 4,9 % sur 12 mois pour 2025, 2026 et 2027, respectivement.

Commençons par examiner les répercussions sur le logement. La réduction du nombre d’immigrants peut avoir pour effet d’atténuer les pressions sur le marché de l’habitation de différentes façons. L’impact a été particulièrement notable sur le marché des logements construits expressément pour la location, où le ralentissement marqué de l’immigration est à l’origine de nos modestes prévisions de croissance des loyers de 3 % à 3,5 % en 2026 (environ la moitié du taux de croissance de 2024). 

Toutefois, ce n’est pas le seul facteur relatif à la demande qui influence nos prévisions. Le marché locatif fait simultanément face à une baisse des taux d’intérêt qui entraîne un virage vers l’accession à la propriété. Et il y a des influences du côté de l’offre, comme des politiques gouvernementales qui ont contribué à stimuler la construction de logements construits expressément pour la location. 

Par conséquent, nous devons isoler les répercussions de la croissance de la population sur les loyers. Pour ce faire, nous maintenons inchangées nos hypothèses sur les taux d’intérêt et l’offre de logements locatifs et imposons un profil contrefactuel de croissance de la population qui ne tient pas compte de la baisse de l’immigration. Cette trajectoire de croissance hypothétique devrait revenir à la moyenne à long terme. Dans ce scénario, la croissance moyenne des prix des logements locatifs est de 5,5 % de 2025 à 2027, soit deux points de pourcentage de plus que nos prévisions actuelles (graphique 2). Ce taux de croissance serait également près de deux fois plus élevé que la moyenne historique, ce qui nuirait encore davantage à l’abordabilité des logements locatifs. Nous estimons que le Canadien moyen aurait payé 1 100 $ de plus par année pour louer un appartement d’une chambre à coucher d’ici 2027.

Au-delà des logements construits expressément pour la location, le fait de limiter le nombre de nouveaux arrivants a également entraîné une baisse de la demande de copropriétés, tant auprès des propriétaires que sur le marché locatif secondaire. La collision des influences a exercé une pression à la baisse sur les demandes des loyers dans la plupart des grandes villes. Le graphique 3 montre la relation entre le ralentissement de la croissance démographique et l’évolution des loyers. Les changements les plus importants ont été constatés en Colombie-Britannique et en Ontario, en raison de la proportion plus élevée de travailleurs étrangers temporaires et d’étudiants. Ces marchés proposent également l’offre la plus élevée de copropriétés, dont le marché secondaire était auparavant attrayant pour les investisseurs en raison de son potentiel de production de revenus.

L’impact des flux d’immigration sur le prix des propriétés n’est pas aussi net. Premièrement, les résidents non permanents sont peu actifs sur le marché de la propriété (graphique 4) et lorsqu’ils le sont, ils choisissent habituellement d’acquérir un logement en copropriété1. L’effet d’une réduction du nombre de nouveaux résidents non permanents est donc plus grand sur ce segment du marché.

Le graphique 3 montre les variations, du pic au creux, de la croissance de la population et des loyers demandés pour les logements en copropriété dans l’ensemble des provinces. Dans des provinces comme l’Ontario et la Colombie-Britannique, où la croissance démographique diminue le plus rapidement, les loyers demandés ont diminué de 7,4 % et de 11,6 %, respectivement. Dans l’ensemble des provinces, on a enregistré une baisse moyenne de la population de 1,9 %, tandis que les loyers demandés ont diminué de 4,0 % en moyenne. Le graphique 4 montre les différences dans la proportion de locataires et de propriétaires entre les résidents nés au Canada, les immigrants récents et les résidents non permanents. Le nombre d’unités occupées par les résidents canadiens à titre de propriétaires est de 250 pour 1 000 personnes, contre 115 pour les immigrants récents et 41 pour les résidents non permanents. En revanche, ces derniers dominent le secteur des logements loués, avec 314 unités pour 1 000 personnes.

Si on ne tient pas compte des résidents non permanents, les données montrent que les immigrants récents sont légèrement plus actifs dans l’accession à la propriété au cours de leurs premières années au Canada, avec une préférence pour les maisons unifamiliales. Au bout de cinq à six ans, la proportion des immigrants qui ont accédé à la propriété est d’environ 50 %. En théorie, ce décalage donne aux promoteurs l’occasion d’ajuster l’offre de maisons unifamiliales, en particulier en raison du fait qu’il s’agit d’un segment plus prévisible et stable du flux démographique. Toutefois, les données montrent une inertie naturelle à l’égard de la construction de maisons unifamiliales, car les terrains exploitables dans les centres urbains du Canada demeurent rares et les marchés favorisent la densification des logements.

Le taux de chômage aurait augmenté davantage sans un resserrement de l’immigration

En ce qui concerne les répercussions sur le marché du travail, l’augmentation de l’immigration pendant la reprise à la suite de la pandémie a contribué à combler les pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs clés de l’économie. Au début, le Canada a démontré qu’il avait la capacité d’intégrer ces nouveaux travailleurs. Toutefois, cette capacité s’est épuisée, car le taux de croissance de la population active est maintenant près de quatre fois plus élevé qu’avant la pandémie. Au milieu de l’année dernière, il était devenu clair que le marché de l’emploi avait ralenti, alors qu’on constatait une normalisation des taux de postes vacants, un fléchissement de la croissance de l’emploi et une augmentation du taux de chômage.

Le graphique 5 présente le taux de chômage de base par rapport à celui de deux scénarios selon différentes hypothèses de population active. En septembre 2025, le taux de chômage national s’établissait à 7,1 %. Dans un scénario où la croissance de la population active était en moyenne de 50 000 personnes par mois en 2025, et où le marché de l’emploi absorbait 30 % de cette main-d’œuvre, le taux de chômage s’éleverait aujourd’hui à 8 %. Dans un scénario semblable où le taux d’absorption serait de 50 %, le taux de chômage actuel serait de 7,6 %.

Le rajustement des cibles d’immigration est venu à point nommé. La demande des employeurs pour de nouveaux travailleurs s’est récemment inversée, les pertes nettes d’emplois s’élevant à 40 000 postes entre juillet et septembre 2025. Nous croyons que 40 000 autres postes sont toujours à risque cette année. Malgré tout, le taux de chômage ne devrait augmenter que légèrement par rapport aux niveaux actuels avant de diminuer graduellement l’an prochain, toute hausse plus marquée étant amortie par le ralentissement de la croissance de la population active.

Encore une fois, nous pouvons démontrer ceci en développant des scénarios contrefactuels qui prévoient des taux de chômage variables en fonction de différentes hypothèses pour la croissance de la population active. Nos prévisions de base reflètent une augmentation mensuelle moyenne de la population active de 10 000 personnes en 2025, ce qui représente le rythme mensuel moyen de 30 000 personnes au premier semestre de l’année, suivi d’une contraction complète prévue au deuxième semestre. Toutefois, si le taux de croissance de la population active des deux années précédentes s’était maintenu jusqu’en 2025, nous estimons que le taux de chômage actuel aurait pu dépasser 8 % (graphique 5). Cette hypothèse suppose que les employeurs absorbent 30 % des nouvelles personnes actives sur le marché du travail, ce qui reflète la récente tendance à la baisse de la demande. Même en supposant un taux d’absorption plus généreux de 50 % de la nouvelle main-d’œuvre sur le marché du travail, le taux de chômage serait tout de même passé à plus de 7,5 % à l’échelle nationale.

Cela nous rappelle que les politiques d’immigration ne doivent pas demeurer immuables. Des rajustements doivent être effectués pour tenir compte de l’évolution des conditions du marché et des exigences en matière de compétences. De plus, les décideurs doivent être conscients qu’il ne faut pas « abuser des bonnes choses ». Un débordement d’immigrants au sein d’un secteur peut inciter les entreprises à renoncer aux investissements au profit d’une main-d’œuvre à moindre coût. Pour trouver un équilibre raisonnable, il faut effectuer des examens réguliers et faire preuve de souplesse afin de soutenir la croissance économique à long terme.

Des dépenses qui surpassent les attentes dans un contexte de repli démographique

Si la réduction des flux d’immigration a eu l’effet prévu sur les logements et le marché du travail, son incidence sur les dépenses de consommation s’est avérée surprenante. Au premier semestre de cette année, les dépenses globales des ménages ont surpassé la plupart des prévisions en affichant la même vigueur qu’au semestre précédent. Pour en savoir plus, consultez notre dernière étude sur la résilience des consommateurs. La baisse des taux d’intérêt, la tendance des ménages à puiser dans leurs épargnes élevées, la reprise de la demande de logements et l’augmentation du tourisme intérieur sont parmi les principaux facteurs expliquant ce résultat. Mais la situation est plus complexe qu’il n’y paraît. Intuitivement, l’effondrement rapide de la croissance démographique aurait tout de même dû contrebalancer ces facteurs et entraîner un ralentissement des dépenses. 
Le graphique 6 présente les changements récents de la population canadienne par type. Depuis 2022, les résidents non permanents représentent plus de 70 % de la croissance de la population totale. Ce sont 1,4 million de résidents non permanents qui sont entrés au pays depuis 2022.

L’évaluation de ces répercussions globales est plus difficile, car les données officielles ne permettent pas de distinguer les dépenses des nouveaux immigrants de celles du reste de la population et les données disponibles ne sont pas tout à fait à jour. Toutefois, la triangulation des données disponibles permet tout de même de dégager certaines conclusions. Les données des recherches et des sondages indiquent que les immigrants dépensent habituellement le plus au moment de leur arrivée au pays et qu’ils comptent souvent sur leurs économies. Après cette période initiale, leurs dépenses ont tendance à diminuer en raison des versements à la famille dans leur pays d’origine, de l’adoption de meilleures habitudes d’épargne et du fait que leur salaire moyen et leur revenu disponible sont moins élevés que ceux de travailleurs nés au Canada. Compte tenu de cette tendance en matière de dépenses, les répercussions négatives les plus importantes sur les dépenses auraient dû être observées relativement tôt, dès que la croissance démographique s’est mise à fléchir au premier semestre de l’année.   

Toutefois, les caractéristiques des nouveaux immigrants au cours des dernières années ont considérablement changé par rapport aux tendances antérieures. Tout d’abord, l’augmentation est attribuable aux résidents non permanents, qui ont représenté 70 % de la croissance de la population entre 2022 et 2024 (graphique 6). Historiquement, les résidents non permanents ont représenté de 2 % à 3 % de la population, alors que cette proportion a atteint un sommet de 7,6 % au quatrième trimestre de 2024. Sur les 1,4 million de nouveaux résidents non permanents arrivés au pays au cours de cette période, environ 400 000 étaient des étudiants et de 300 000 à 400 000 autres avaient trouvé un emploi dans un secteur à faible salaire, comme la restauration et l’hébergement, les services de détail et l’administration. De plus, le taux de chômage des jeunes Canadiens – qui comprennent de nombreux nouveaux arrivants titulaires d’un permis d’études – connaissait déjà depuis deux ans une hausse plus rapide que celui du groupe noyau de la population active. 

Le graphique 7 présente nos prévisions des dépenses réelles par habitant par rapport à un scénario contrefactuel fondé sur l’hypothèse d’une population plus élevée. Selon les prévisions de base, les dépenses réelles par habitant passeront de 33 700 $ à 34 700 $ d’ici la fin de 2028. Dans le scénario contrefactuel, les dépenses réelles par habitant demeurent stables tout au long de la période de prévision.

Ensemble, cela représente près d’un quart de million de nouveaux arrivants qui possédaient naturellement un pouvoir d’achat pour les dépenses discrétionnaires moins élevé que celui de la population générale. De plus, comme la plupart des dépenses initiales à l’arrivée sont axées sur l’obtention d’un logement, l’érosion de l’abordabilité aura fait en sorte de gruger encore davantage ce pouvoir d’achat. Toutes ces influences suggèrent que la contribution des nouveaux arrivants aux dépenses de consommation pendant la flambée démographique a été plus faible que lors des périodes précédentes. Par conséquent, les autres facteurs de l’économie qui ont stimulé la croissance des dépenses intérieures ont été en mesure de contrecarrer le fléchissement qui aurait normalement découlé du ralentissement de l’immigration. 

Le résultat net est une augmentation des dépenses réelles par habitant après près de deux ans de baisse, ce qui place le pays sur la bonne voie pour dépasser son sommet du milieu de 2022 d’ici l’an prochain. En revanche, si les flux de population avaient été maintenus à leur niveau élevé, nous estimons que les dépenses réelles par habitant n’auraient commencé à augmenter qu’au milieu de 2027 (graphique 7).

Conclusion

Le rajustement de la politique d’immigration du gouvernement fédéral commence à porter ses fruits en rétablissant l’équilibre dans une infrastructure sociale mise à rude épreuve. Bien que la politique à elle seule ne règle pas tous les problèmes structurels du Canada, elle s’est avérée être une réforme importante au bon moment pour l’économie. Elle a contribué à atténuer les pressions sur le marché national de l’habitation, en particulier dans le secteur de la location, et a endigué une hausse plus marquée du chômage pendant une période économique difficile. Parallèlement, et de manière surprenante, il n’y a pas eu d’impact négatif important sur les dépenses de consommation, bien que cette analyse demeure préliminaire. Tout compte fait, ces développements arrivent à point nommé, car le pays subit simultanément un choc politique de la part des États-Unis. Ce choc nous rappelle également que l’immigration devra continuer à jouer un rôle essentiel dans la résilience économique du Canada. Les décideurs doivent continuellement élaborer des solutions et des programmes qui contribuent à la transition économique nécessaire en cours, afin d’améliorer la vigueur et la productivité du marché du travail.

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