Plan fédéral canadien sur le logement :
Le marathon de 500 000
Rishi Sondhi, économiste | 416-983-8806
date publiée: 3 juin 2025
Faits saillants
- Le gouvernement nouvellement élu de M. Carney s’est fixé comme objectif de porter le nombre de logements achevés au Canada à 500 000 par année au cours des 10 prochaines années, afin de rétablir l’abordabilité. Le sommet précédent, 260 000 logements, remonte au milieu des années 1970.
- Plusieurs mesures du plan sur le logement proposé par le gouvernement fédéral stimuleraient l’offre : éliminer la TPS sur les logements neufs, réduire les redevances d’aménagement et modifier les incitatifs fiscaux pour favoriser la construction de logements locatifs. Ces mesures devraient être loin de suffire pour combler l’écart entre le nombre de logements achevés et la cible du gouvernement.
- Toutefois, il pourrait ne pas être nécessaire de porter le nombre de logements achevés à 500 000 pour ramener l’abordabilité à des niveaux plus raisonnables. Selon notre analyse, 400 000 pourraient suffire. Néanmoins, l’objectif est ambitieux.
- Pour construire 400 000 logements, le gouvernement devra probablement compter sur la croissance de la main-d’œuvre (mise sous tension par la vague de départs à la retraite qui devrait toucher le secteur de la construction dans les prochaines années) et sur une hausse sans précédent de la productivité. Dans ce dernier cas, il faudrait sans doute une révolution dans les méthodes de construction.
- La productivité pourrait être améliorée grâce au programme Maisons Canada du gouvernement, qui mise notamment sur l’expansion de la construction préfabriquée au Canada. L’expérience internationale donne une lueur d’espoir, mais développer l’industrie de la construction préfabriquée au Canada vient avec son lot de défis.

La question de l’abordabilité du logement est au cœur des préoccupations du nouveau gouvernement libéral. Le premier ministre Carney s’est engagé à porter l’offre de logements à 500 000 unités par année. L’objectif est ambitieux; le record établi au Canada est de 260 000 unités et remonte à 19741 (graphique 1). Le plan fédéral sur le logement propose plusieurs idées pour stimuler l’offre. Quelles sont ces mesures et permettraient-elles au gouvernement fédéral d’atteindre la cible fixée?
- Éliminer la TPS sur les logements neufs (ou rénovés en grande partie) à l’achat d’une première propriété : D’entrée de jeu, cette politique permettrait probablement d’améliorer l’abordabilité. Toutefois, la hausse de la demande qui en résulterait se traduirait probablement par des prix plus élevés à court terme, ce qui amoindrirait les retombées favorables de la politique et rendrait de courte durée ses effets sur la demande. De plus, l’effet de cette mesure sera limité par son caractère ciblé. Néanmoins, l’augmentation de la demande à court terme devrait stimuler l’offre.
- Réduire de 50 % les redevances d’aménagement : Si cette politique est mise en œuvre, elle pourrait porter ses fruits dans des marchés comme Vancouver et, en particulier, Toronto, où ces redevances sont relativement élevées.
- Immeubles résidentiels à logements multiples : Le gouvernement fédéral entend relancer le programme fiscal pour ce type de logement. En vigueur de 1974 à 1982, la déduction fiscale pour les immeubles résidentiels à logements multiples permettait aux investisseurs de déduire des dépenses du revenu tiré des appartements locatifs. Grâce au programme, la construction de logements locatifs s’est accrue de 195 000 unités (environ 25 000 unités par année) durant cette période, selon le gouvernement fédéral.
- Un tel programme connaîtrait-il autant de succès aujourd’hui? Il faut d’abord souligner que le contexte réglementaire fédéral est déjà très favorable à l’offre pour la construction de logements locatifs, compte tenu des changements qui seraient apportés aux politiques, comme l’élimination de la TPS pour ces immeubles. De plus, un nombre important de logements locatifs sont en construction et les mises en chantier se portent bien (graphique 2).
- La déduction fiscale pour les immeubles résidentiels à logements multiples permettra aux investisseurs d’inscrire la dépréciation dans leur déclaration de revenus, réduisant leur facture fiscale et bonifiant les incitatifs fiscaux pour accroître les investissements dans la construction de logements locatifs. Toutefois, pour que le taux de construction de logements locatifs continue d’augmenter, la demande doit être au rendez-vous. Cette proposition pourrait s’avérer risquée à court terme, compte tenu de facteurs comme une baisse des loyers.
- Une fois dissipées les difficultés à court terme, la déduction fiscale pour les immeubles résidentiels à logements multiples pourrait stimuler passablement la construction de logements locatifs. L’impulsion sera-t-elle la même que lors de la première mouture du programme? Certains obstacles se dressent; notamment, la durée des chantiers pour les immeubles d’habitation a considérablement augmenté au fil du temps. De plus, la concurrence est maintenant plus féroce. Les logements locatifs ne sont pas la seule option pour ceux qui veulent investir en immobilier résidentiel, comme c’était généralement le cas à l’époque.
Globalement, ces mesures pourraient accroître les mises en chantier d’environ 15 000 à 20 000 unités par rapport au niveau de base. Toutefois, les retombées pourraient se faire davantage sentir à moyen terme. À court terme, la construction résidentielle sera confrontée à une myriade de facteurs : coûts de construction élevés, incertitude économique, déclin rapide de la croissance démographique, surplus de copropriétés dans la région du Grand Toronto et baisses antérieures des ventes de logements. Aussi, les mises en chantier au Canada devraient reculer, passant de 245 000 unités l’an dernier à environ 215 000 d’ici 2026.
Le plan du gouvernement favorisera également les conversions d’immeubles existants en logements abordables en réduisant l’impôt des propriétaires qui vendent leur habitation et qui réinvestissent le produit de la vente dans le marché locatif. Cela permettra aussi d’alléger le fardeau administratif, par exemple, en accélérant les approbations et en préapprouvant des plans d’habitation standardisés à l’échelle du pays. Difficiles à modéliser, ces initiatives pourraient faire en sorte que la construction de logements dépasse nos estimations pour les autres mesures.
Remise en question des 500 000
Les politiques examinées jusqu’ici devraient être loin de suffire pour combler l’écart entre le nombre moyen de logements achevés au Canada, soit environ 210 000 par année, et la cible de 500 000 du gouvernement fédéral au cours de la prochaine décennie. Toutefois, 500 000 est-il même le « bon » nombre à viser? Quoiqu’ambitieuse, la cible est peut-être atteignable. Mais, d’après notre modélisation, si le Canada réussit à livrer 400 000 logements (graphique 3) par année, l’abordabilité pourrait revenir à son niveau d’avant la pandémie. Cela suppose que le Canada échappe à une récession majeure, un malheur qui améliorerait rapidement l’abordabilité.
Ce volume serait plus facile à gérer, mais demeure très élevé, compte tenu des contraintes dans le secteur de la construction, où la productivité pose un problème (graphique 4), comme dans d’autres secteurs, sans parler de la vague de retraites à venir dans les prochaines années. En fait, le secteur de la construction prévoit une pénurie de 108 000 travailleurs au Canada d’ici 20342, compte tenu des besoins en main-d’œuvre et des départs à la retraite.


Au taux de productivité actuel, pour livrer 400 000 logements par année pendant 10 ans, il faudrait que le nombre de travailleurs canadiens de la construction résidentielle augmente de 16 % chaque année (tableau 1). C’est intenable, surtout compte tenu des départs à la retraite et de la concentration déjà forte de l’emploi dans le secteur de la construction au Canada. De plus, les gouvernements fédéral et provinciaux affichent des objectifs ambitieux pour la construction d’infrastructures, autant de projets qui se disputeront les gens de métier.
De façon plus réaliste, le Canada pourrait espérer une hausse combinée de la main-d’œuvre en construction et de la productivité. À supposer simplement une hausse constante de 1 % par année de la main-d’œuvre en construction résidentielle (ce qui est un peu inférieur à la moyenne sur 10 ans), la productivité devrait augmenter de 50 % par rapport aux niveaux actuels pour atteindre 400 000 unités en 10 ans. Ce qui nous amène au projet du gouvernement fédéral de créer une entité consacrée au logement, Maisons Canada (MC). Pour atteindre la cible fixée, l’initiative MC devra jouer un rôle clé.
Construire 400 000 logements par année
Travailleurs |
Hypothèse de productivité | Croissance annuelle requise de la main-d’œuvre sur 10 ans |
1,110,032 | Niveau actuel | 16.3% |
860,649 | Moyenne à long terme | 2.6% |
449,551 | Niveau maximum | -3.4% |
750,022 | Augmentation de 50 % par rapport au niveau actuel | 1.0% |
La préfabrication, une panacée?
Pour élever la productivité à un rythme sans précédent dans le secteur de la construction, il faudra révolutionner les méthodes de construction. De fait, l’initiative MC exprime le désir du gouvernement de stimuler la construction préfabriquée3 au Canada en accordant à l’industrie un financement de près de 40 milliards. Selon les estimations de l’industrie, les logements modulaires ne représentent actuellement que 4 % à 6 % des chantiers d’habitation au Canada4, mais la recherche souligne que la préfabrication pourrait réduire les délais de construction de 50 % et les coûts de 20 %5.
Dans des pays comme le Japon et la Suède, la préfabrication est bien implantée, représentant environ 15 % et plus de 45 %, respectivement, du parc de logements6. En Suède, la préfabrication s’est développée en réponse à plusieurs défis : disponibilité de la main-d’œuvre, crise de l’énergie, offre déficitaire et rigueur du climat7. Au Japon, l’industrie a fait face à la tâche monumentale de reloger sa population urbaine après la Deuxième Guerre mondiale. Le gouvernement japonais a joué un rôle central dans les années d’éclosion de l’industrie de la préfabrication, notamment en établissant une entité qui accordait des prêts à faible coût pour stimuler l’offre de logements. En particulier, la réticence des consommateurs, un obstacle important au Japon, a pu être surmontée grâce à des mesures comme des incitatifs gouvernementaux spéciaux8.
On peut établir un parallèle entre le plan du gouvernement fédéral et l’expérience japonaise, mais la préfabrication au Canada se heurte à des obstacles, notamment une hausse des coûts de transport pendant la construction. Il pourrait aussi être nécessaire de repenser le financement et l’inspection dans la construction résidentielle. Bien entendu, le logement usiné n’a pas réponse à tout. Plus concrètement, une demande importante et stable est nécessaire pour développer le secteur, et la promesse du gouvernement fédéral de garnir le carnet de commandes des fabricants est un pas dans la bonne direction. Toutefois, si l’on se fie à l’expérience internationale, il faudra déployer des efforts soutenus. De plus, la préfabrication est plus efficace lorsqu’on répète le même modèle. Mais les lignes directrices en matière de conception peuvent varier d’une province et d’une municipalité à l’autre (il y en a plus de 5 000 au Canada). La capacité d’expansion de l’industrie pourrait être lourdement handicapée. Cela dit, le catalogue de conception de logements du gouvernement fédéral (réalisé par des équipes locales d’architectes et d’ingénieurs) pourrait être utile à cet égard.
L’éventail des logements livrés a beaucoup d’importance. L’initiative MC débloquerait environ 10 milliards de dollars en financement à faible coût pour les constructeurs de logements abordables. Reste à voir si cette mesure peut réellement soutenir le logement abordable au Canada. La recherche montre que les programmes plus coûteux pour résorber la pénurie de logements abordables au Canada n’ont pas été à la hauteur des attentes9.
Conclusion
La productivité et les départs à la retraite dans la construction sont des défis structurels que le gouvernement devra relever pour atteindre sa cible annuelle de bâtir 500 000 logements pendant 10 ans. Toutefois, la livraison de 400 000 unités devrait suffire à rétablir l’abordabilité au fil du temps.
Globalement, le plan libéral devrait accroître l’offre de logements au pays, mais pas assez pour atteindre la cible d’un demi-million. Le gouvernement fédéral misera sans doute sur le secteur canadien de la préfabrication pour y arriver. La préfabrication peut augmenter la productivité. Toutefois, l’industrie est actuellement modeste et son expansion nécessitera un effort soutenu de la part du gouvernement fédéral, si l’on se fie à l’expérience internationale. Les codes de conception des logements varient considérablement d’une région à l’autre et posent un autre défi à l’expansion de la fabrication usinée.
Notes en fin de texte
- Ce niveau a sans doute été dépassé en 2024, mais la SCHL a cessé en 2022 de recueillir des données sur les logements achevés au Canada. Toutefois, les données sur les régions métropolitaines de recensement (RMR) affichent des gains robustes en 2023 et en 2024.
- ConstruForce Canada (2025). Canada, Regard prospectif – Construction et maintenance, Points saillants 2025-2034. https://www.buildforce.ca/wp-content/uploads/2025/03/2025-Canada-Regard-Prospectif.pdf
- Les logements préfabriqués sont des maisons (ou des composantes de maisons) construites en usine, puis transportées et assemblées à l’emplacement final.
- Hassan, S. (15 mai 2025). In Canada’s housing crisis, are modular homes a cheaper and faster solution? CBC. https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/modular-homes-housing-crisis-1.7535799
- Bertram, N., Fuchs, S., Mischke, J., Palter, R., Strube, G., Woetzel, J. (2019). Modular construction: From projects to products. Mckinsey & Company. https://www.mckinsey.com/capabilities/operations/our-insights/modular-construction-from-projects-to-products
- Ibid.
- Terner Center for Housing Innovation – U.C. Berkley. (2017). Housing in Sweden: An Overview. https://ternercenter.berkeley.edu/wp-content/uploads/2020/11/Swedish_Housing_System_Memo.pdf
- McKellar, J. (1985). Industrialized Housing: The Japanese Experience. Centre for Real Estate Development, MIT. https://publications.gc.ca/collections/collection_2017/schl-cmhc/nh15/NH15-655-1985-eng.pdf
- Whitzman, C. (octobre 2024). Homeward Bound: How to Create Deeply Affordable Housing. Institut de recherche en politiques publiques. https://irpp.org/wp-content/uploads/2024/10/Homeward-Bound-How-to-Create-Deeply-Affordable-Housing.pdf
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