Élections fédérales 2019 : Les libéraux remportent le plus grand nombre de sièges, mais non la majorité

Brian DePratto, économiste principal | 416-944-5069

date publiée: 22 octobre 2019

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Faits saillants

  • Aux élections d’hier, le Parti libéral de Justin Trudeau semble avoir obtenu 157 sièges. Il lui manque donc 13 des 170 sièges requis pour former un gouvernement majoritaire.
  • Les élections ont été marquées par une division du soutien par région. Le Parti libéral a fait assez bonne figure dans l’est du pays, tandis que le Parti conservateur s’est fait élire dans les provinces des Prairies et dans un bon nombre de circonscriptions ontariennes à l’extérieur du Grand Toronto.
  • Le Parti conservateur, dirigé par Andrew Scheer, semble avoir remporté 121 sièges au total, ce qui représente un gain par rapport aux 99 sièges détenus avant les élections. Pour les autres principaux partis, le Bloc québécois est ressorti gagnant dans 32 circonscriptions (auparavant, 10), alors que le NPD a obtenu 24 sièges (auparavant, 44). Le  Parti vert a remporté 2 sièges de plus qu’à l’élection précédente, pour un total de trois sièges. Le tableau 1 résume les résultats. 
  • Sans la majorité, Justin Trudeau sera vraisemblablement forcé de gouverner en fonction des enjeux. La négociation d’une coalition officielle semble hautement improbable. En effet, une telle situation ne s’est pas produite au palier fédéral depuis près d’un siècle. 

La plateforme libérale prévoit des déficits plus élevés et quelques changements à l’impôt des particuliers

Tableau 1 : Les élections de 2019 marquent le retour d’un gouvernement minoritaire
  Résultats en 2019 Résultats en 2015 Écart
Parti libéral 157 184 -27
Parti conservateur 121 99 22
Nouveau Parti démocratique 24 44 -20
Bloc Québécois 32 10 22
Parti vert 3 1 2
Autres 1 0 1
Remarque : Sièges projetés; sous réserve de modifications.
Source : Services économiques TD, par suite de reportages dans les médias.
  • Parmi ses éléments clés, la plateforme électorale libérale rejetait davantage l’idée d’atteindre l’équilibre budgétaire, s’attardant plutôt à continuer d’abaisser le ratio de la dette au PIB. Cela se traduit par une plateforme qui s’engage à enregistrer un déficit budgétaire plus important : jusqu’à 10 milliards de dollars de plus que le déficit habituel d’ici l’exercice 2023-2024. Si cet objectif est atteint, le ratio de la dette fédérale au PIB serait de 30,2 %, tout juste un point de pourcentage de moins que le ratio actuel, mais plus d’un point au-dessus des prévisions de référence du Bureau du directeur parlementaire du budget de juin 2019 (tableau 2). L’approche visant des déficits plus élevés rejoint les plateformes de plusieurs des autres principaux partis. 
  • Agrave; première vue, la plateforme électorale libérale est légèrement favorable à la croissance. Si elle est mise en place, nous nous attendons à accroître très légèrement notre prévision de croissance à court terme, sans impact à long terme sur les perspectives (tableau 3).
  • L’une des principales raisons pour lesquelles les engagements au chapitre des nouvelles dépenses de 31,5 milliards de dollars ne produisent guère d’effets sur la croissance est l’état actuel du cycle économique. Les Services économiques TD estiment que l’écart de production s’est effectivement refermé. De plus, avec le sommet inégalé du taux d’emploi des personnes d’âge moyen, peu de signes indiquent un ralentissement du marché du travail. Dans ce type d’environnement, les dépenses publiques en donnent moins pour l’argent dépensé.
  • Un certain nombre de promesses de la plateforme font augmenter le déficit. Du côté des dépenses, l’augmentation de l’exemption personnelle (le revenu libre d’impôt qu’une personne peut gagner) est entièrement récupérée pour les personnes qui gagnent environ 210 000 $ par année. La plateforme comprend aussi des initiatives à plus petite échelle touchant l’assurance-emploi, la Sécurité de la vieillesse et d’autres secteurs. Un résumé des principales promesses est compris dans l’annexe.
  • Tableau 2 : La plateforme libérale prévoit des déficits légèrement plus élevés
      2020-21 2021-22 2022-23 2023-24
    Prévision de référence du DPB -23,3 G$ -15,4 G$ -12,5 G$ -11,2 G$
    Variation nette -4,1 G$ -8,3 G$ -9,3 G$ -9,8 G$
    Projection de la plateforme -27,4 G$ -23,7 G$ -21,8 G$ -21,0 G$
    Ratio de la dette au PIB de la plateforme 30,9 % 30,8 % 30,5 % 30,2 %
    Écart  Ratio de la dette au PIB  0,1 pp 0,5 pp 0,8 pp 1,2 pp
    Source : Bureau du directeur parlementaire du budget, Parti libéral du Canada
     
    Tableau 3 : La plateforme libérale est légèrement favorable à la croissance à court terme
      2020 2021 2022 2023
    Prévision de référence de la TD 1.6 1.7 1.8 1.8
    Incluant les promesses de la plateforme 1.7 1.7 1.8 1.8
    Écart (pp) 0.1 0.1 0.0 0.0
    Source : Services économiques TD      
  • Du côté des revenus, les éléments clés sont un examen des dépenses et une révision des dépenses fiscales, des mesures pour lutter contre les échappatoires fiscales des entreprises, l’imposition des entreprises technologiques internationales ainsi qu’une taxe sur les biens de luxe. Comme il est indiqué dans le tableau 2, ces sources de revenus ne sont pas suffisantes pour compenser les nouvelles dépenses, le manque à gagner étant financé par emprunt. 

Peu de répit pour l’abordabilité du logement

  • L’abordabilité du logement demeure un enjeu important pour les Canadiens dans les marchés de Toronto et de Vancouver (parmi d’autres). Cependant, les mesures de la plateforme libérale sont seulement susceptibles de jeter de l’huile sur le feu en faisant augmenter les prix au moment où le marché commence à reprendre de la vigueur.
  • De façon générale, le gouvernement fédéral est limité aux mesures liées à la demande. Certaines parties de la plateforme libérale, comme la taxe annuelle de 1 % sur la spéculation et les propriétés résidentielles inoccupées et détenues par des étrangers (faisant écho aux mesures prises par la Colombie-Britannique à cet égard), peuvent aider à modérer la demande, mais d’autres semblent prêtes à stimuler cette dernière.
  • Une autre promesse de la plateforme concerne le programme actuel de prêts hypothécaires avec participation (Incitatif à l’achat d’une première propriété). Ce programme pourrait être élargi dans des marchés clés pour inclure des revenus maximums et des prêts hypothécaires plus élevés (pouvant atteindre environ 780 000 $). Pour les personnes admissibles, ces modifications apporteront un certain soulagement à court terme quant à l’abordabilité du logement. 
  • En effet, la modélisation préliminaire suggère que, conjointement aux programmes actuels, les ventes et les prix des habitations à l’échelle nationale pourraient augmenter de 2 % à 3 % de plus au cours des prochaines années que ce qui était prévu au départ. Si les aléas d’un gouvernement minoritaire mènent à l’acceptation d’autres propositions sur le logement, comme le retour des prêts hypothécaires assurés sur 30 ans, il est possible qu’une augmentation additionnelle de même ampleur se produise. Si ces mesures sont adoptées, d’autres mesures du côté de l’offre seront nécessaires pour aider à répondre aux enjeux d’abordabilité à long terme.

La réaction des marchés sera probablement limitée

  • Durant la semaine avant les élections, un gouvernement minoritaire semblait être l’issue la plus probable, alors nous nous attendions à ce que les marchés fassent fi du résultat initial. En effet, les fluctuations de taux de change au sein du marché à un jour (peu négocié) ont été limitées, avec l’entrée en jeu d’une certaine pression à la baisse.
  • Les gouvernements minoritaires vont de pair avec une plus grande incertitude quant aux politiques et à la durée pendant laquelle ils se maintiennent au pouvoir. À l’avenir, nous pouvons nous attendre à une certaine volatilité des marchés à l’approche des votes de confiance, principalement ceux qui concernent le budget. Il reste à voir la façon dont les marchés se soumettront à un accroissement potentiel du déficit budgétaire ou aux hausses d’impôts résultant de compromis et d’ententes liées au Régime d’assurance-médicaments ou à d’autres mesures de dépenses (voir l’annexe). Ceci étant dit, le niveau de la dette fédérale est bas, tout comme les coûts d’emprunt, et il ne s’agit pas du premier gouvernement minoritaire au Canada; à moins d’importantes hausses d’impôts, il faut s’attendre à ce que les réactions soient brèves.
  • Figure 1: Points de convergence des partis

  • S’il y a un secteur qui présentera un intérêt à plus long terme pour les marchés, c’est celui de l’énergie, en particulier l’avenir du pipeline Trans Mountain (TMX). Même si le gouvernement libéral demeure entièrement engagé envers TMX, le secteur pétrolier se souciera quand même du fait que le projet pourrait être utilisé comme monnaie d’échange dans de futures négociations avec un autre parti.
  • Pour la Banque du Canada, le seul effet modeste sur la croissance qu’auraient les engagements de la plateforme libérale signifiera probablement peu de changements quant à sa direction. Nous continuons d’attendre que les risques externes mènent à un futur assouplissement de sa politique monétaire.

Un gouvernement minoritaire signifie des compromis

  • Le gouvernement libéral détenant le plus grand nombre de sièges, la question de savoir si le premier ministre Trudeau aurait ou devrait avoir la chance de former le prochain gouvernement ne se pose plus. Ce qui demeure crucial, dans les jours et les semaines à venir, ce sont les négociations entre les partis qui accompagnent un gouvernement minoritaire et sa survie d’un vote à l’autre.
  • Eacute;tant donné que seulement quelques heures se sont écoulées depuis la confirmation des résultats des élections, cette analyse est axée sur les promesses de la plateforme. Cependant, avec un gouvernement minoritaire, de nombreuses questions subsistent; avant tout : l’adoption de quelles parties du plan représentera un défi? Quels aspects se chevauchent ou sont susceptibles d’obtenir le soutien d’autres partis?
  • En se concentrant sur ce deuxième élément, la figure 1 souligne certains des points de convergence importants des principaux partis : les mesures pour soutenir l’habitation reçoivent l’appui des principaux partis et, dans leur ensemble, les propositions liées à l’impôt des particuliers des libéraux et des conservateurs ne sont pas si différentes les unes des autres. 
  • Néanmoins, avec un gouvernement minoritaire, la situation demeure fluide, et nous surveillerons de près les partis et leurs chefs pour connaître les terrains d’entente. Il reste à voir si Justin Trudeau pourra dépasser la durée moyenne des gouvernements minoritaires, soit de un an et demi à deux ans. 

Une vision actualisée nécessaire pour une productivité à long terme

  • En réfléchissant plus généralement au cycle d’élections précédent et aux plateformes des partis, il était difficile de se sentir inspiré. La plupart des promesses étaient présentées en version remâchée. Les enjeux à plus long terme n’ont pas été mentionnés, notamment les chiffres peu inspirants sur la productivité de la main-d’œuvre ainsi que le marasme continu des investissements des entreprises; non seulement dans les secteurs traditionnels, comme la machinerie et l’équipement, mais aussi dans les produits liés à la propriété intellectuelle, par exemple, les logiciels, la recherche et la conception (consulter notre récent rapport). En effet, le Canada est le seul pays du G7 à dépenser moins en recherche et développement aujourd’hui (en pourcentage du PIB) qu’il ne le faisait en 1997, ce qui a entraîné une baisse de la compétitivité du Canada à l’échelle internationale. 
  • Les réalités politiques d’un gouvernement minoritaire ne sont pas censées détourner l’attention de ce qui devrait être l’objectif de tous les partis : assurer la prospérité à long terme du Canada. Ce n’est pas un appel aux dépenses, mais plutôt pour des réformes réglementaires et des politiques réfléchies qui simplifient le contexte opérationnel (c.-à-d. le retrait des règlements désuets ou redondants), accélèrent les processus et créent un environnement propice aux pratiques commerciales nouvelles et différentes. 

En conclusion

  • Ne vous attendez pas à des renversements à court terme. Étant donné l’absence d’un gouvernement majoritaire, cela prendra probablement un peu de temps avant que les paramètres opérationnels du prochain gouvernement se clarifient. 
  • Le point de départ de la plateforme électorale libérale suggère que peu de changements importants seront apportés aux politiques ou à l’orientation. Mais ce n’est que le commencement. Quels que soient les compromis effectués au quotidien, nous espérons que tous les partis pourront s’entendre quant aux mesures à prendre pour favoriser les investissements ainsi que les gains de productivité et de prospérité.

Annexe : Résumé des principales promesses des partis par thèmes majeurs

Parti conservateur

Parti libéral

Nouveau Parti démocratique

 

Équilibre budgétaire

Budget équilibré dans les cinq prochaines années avec des mesures de restriction des dépenses

Aucun objectif visant l’équilibre; les projections laissent entrevoir une baisse du ratio de la dette au PIB, mais des déficits plus importants

Baisse du ratio de la dette au PIB prévu sur un horizon budgétaire de

10 ans

 

Imposition des entreprises

Abolition des subventions d’aide aux entreprises de 1,5 G$;

annulation des changements apportés à l’imposition des sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC)

Moderniser les règles anti- échappatoires;

lutter contre les échappatoires fiscales permettant aux entreprises de déduire leurs dettes de façon excessive pour réduire l’impôt

Augmenter le taux d’imposition des entreprises à 18 %; imposer les profits réalisés au Canada par les géants du Web

 

Imposition des particuliers

Retirer la taxe fédérale des prestations d’assurance-emploi (AE) au moyen d’un crédit de 15 %;

retirer la TPS des factures d’énergie des particuliers; diminuer le taux d’imposition de la première fourchette d’imposition de 1,25 %, à 13,75 %;

augmenter l’âge pour l’admissibilité aux crédits d’impôt et aux prestations aux survivants;

hausse de 10 pp de la contribution gouvernementale aux régimes enregistrés d’épargne-études (REEE); autres crédits d’impôt (sports, arts, etc.)

Plafonner les déductions des options d’achat d’actions à 200 000 $ pour les personnes des grandes entreprises matures (selon le budget 2019);

exempter d’impôt à la source les prestations parentales; augmenter de 10 % les

prestations de la Sécurité de la vieillesse et de 25 % les prestations aux survivants du Régime de pension du Canada (RPC) / Régime de rentes du Québec (RRQ);

hausser l’exemption de base à 15 000 $ d’ici 2023, et annuler cette exemption pour les personnes qui gagnent environ 210 000 $

Taxe sur la richesse de 1 % sur les fortunes dépassant 20 M$;

hausser le taux d’inclusion des gains en capital de

50 % à 75 %;

augmenter le taux d’imposition des personnes qui gagnent plus de 210 000 $ de 2 pp

(à 35 %)

 

Taxe sur le carbone

Abolir le barème fédéral de la taxe sur le carbone; mettre l’accent sur l’établissement d’objectifs et d’incitatifs fiscaux pour la technologie

Conserver le système actuel

Conserver le système actuel, mais augmenter le taux pour les émetteurs industriels (abolir les crédits)

Secteur de

l’énergie

Continuer l’expansion du

pipeline Trans Mountain;

Continuer l’expansion du

pipeline Trans Mountain

Annuler l’expansion du

pipeline Trans Mountain

abroger la loi C-69

 

Habitation

Abolir la simulation de crise B-20 pour les renouvellements hypothécaires; modification non précisée de la simulation de crise B- 20 pour les acheteurs d’une première propriété; ramener les prêts hypothécaires assurés de 30 ans;

établir un crédit d’impôt de 20 % sur les rénovations résidentielles (fenêtre de 2 ans)

Augmenter la limite du régime d’accession à la propriété (RAP) à 35 000 $; mettre en place des prêts hypothécaires avec participation au moyen de l’Incitatif à l’achat d’une première propriété (IAPP) (selon le budget 2019 et en vigueur actuellement; voir les détails);

augmenter la valeur des propriétés admissibles à l’IAPP à Toronto, à Vancouver et à Victoria pour établir l’emprunt à 5 fois le revenu (limité à 4 fois, auparavant) et

hausser le revenu maximal de 120 000 $ à 150 000 $

ainsi que la valeur maximale du prêt hypothécaire de 505 000 $

à 780 000 $;

taxe annuelle de 1 % sur la spéculation et les logements inoccupés appartenant à des acheteurs étrangers (calquée sur celle de la Colombie-Britannique); collaborer avec les provinces intéressées quant à la transparence en ce qui a trait à la propriété véritable;

rénover les maisons d’une valeur maximale de 1,5 M$ pour les rendre plus écoénergétiques au moyen de prêts pouvant atteindre 40 000 $;

subvention de 5 000 $ pour les acheteurs de maisons qui sont certifiées zéro émission

Ramener les prêts hypothécaires assurés de 30 ans pour les acheteurs d’une première propriété; doubler le crédit pour les acheteurs d’une première propriété (à 1 500 $) mettre en place une taxe de 15 % pour les acheteurs étrangers; créer un registre de propriétés véritables

 

Immigration

Renégociation d’une entente avec les États- Unis sur les tiers pays sûrs pour éliminer le passage illégal de la frontière; amélioration des cours de langue et de la reconnaissance des compétences

Aucun changement notable;

objectifs nets actuels du plan en matière d’immigration de

350 000 personnes par année, en mettant l’accent sur les compétences

Meilleure reconnaissance des compétences; abolition des limites pour le parrainage des parents et des grands-parents

 

Régime d’assurance- médicaments

Aucune proposition importante pour le moment

« Choisir d’avancer » pour instaurer un régime national d’assurance- médicaments, aucun renseignement ni coût inclus dans la plateforme (coûts estimés à 6 G$, non compris dans les projections du déficit)

Couverture pharmaceutique complète à l’échelle nationale

d’ici 2020

Autres promesses pertinentes

Abolir la Banque de

l’infrastructure du Canada

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Avis de non-responsabilité