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Menace américaine de tarifs douaniers sur les véhicules automobiles : Analyse d’un scénario pour le Canada

Brian DePratto, économiste principal | 416-944-5069

date publiée: 18 juin 2018

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Faits saillants

  • Le président américain Donald Trump a ordonné une enquête sur les importations américaines de véhicules automobiles et de pièces pour des raisons de sécurité nationale, l’argument aussi invoqué pour justifier l’imposition de droits de douane sur l’acier et l’aluminium.
  • Si l’enquête se conclut par l’imposition de tarifs d’une même ampleur, les répercussions sur le Canada seront considérables. En 2019, la croissance serait réduite d’un demi-point de pourcentage en raison de la stagnation de l’économie pendant deux trimestres.
  • Les investissements des entreprises seraient les plus durement touchés et laisseraient des « cicatrices » permanentes qui freineraient la capacité économique du Canada à long terme.
  • Étant donné la concentration du secteur automobile en Ontario, la province serait particulièrement éprouvée, sa croissance pouvant être réduite jusqu’à deux points de pourcentage. Les pertes d’emploi seraient énormes – un emploi sur cinq dans le secteur manufacturier de l’Ontario pourrait être menacé.
  • La présente analyse traite uniquement des conséquences directes. Les chocs subis par la chaîne d’approvisionnement et les revenus pourraient amplifier les répercussions sur l’économie.
  • Il est important de noter que cette ampleur dépendra des éventuels droits de douane imposés. Des droits plus modestes atténueraient les résultats de cette analyse.
    Les perspectives de base des Services économiques TD laissent toujours entrevoir un règlement des différends liés à l’ALENA. L’analyse présentée ci-après doit uniquement être considérée comme une simulation et souligne l’importance de la poursuite des négociations.
Chart 1: Autos and Parts An Important Part of Trade, Especially in Ontario

Le 23 mai, le département du Commerce des États-Unis a ouvert, en vertu de l’article 232, une enquête sur les importations de véhicules automobiles et de pièces. Cet article avait aussi été invoqué pour justifier les droits de douane imposés récemment sur l’acier et l’aluminium pour des raisons de sécurité nationale (voir le commentaire). La présente analyse porte sur un scénario dans lequel les résultats de l’enquête permettent aux États-Unis de justifier, pour les véhicules automobiles et leurs pièces, l’imposition de droits semblables à ceux sur l’acier et l’aluminium. Étant donné l’importance du secteur automobile pour le Canada (qui représente près du cinquième des échanges bilatéraux de biens en 2017), en particulier pour l’Ontario (environ 40 % des exportations), ce scénario est manifestement défavorable. En 2019, la croissance nationale annuelle diminuerait d’un demi-point de pourcentage. Supportant le poids de l’impact, l’Ontario serait plus durement touché. Cette situation laisserait aussi des cicatrices, les investissements des entreprises étant réduits de façon permanente, et freinerait la capacité économique du Canada à long terme. L’ampleur de ces répercussions témoigne des enjeux de taille auxquels font face les négociateurs du secteur commercial canadien.

Situation actuelle

Le président Trump a souvent exprimé son aversion pour les importations de véhicules automobiles. Il est passé de la parole aux actes le 23 mai en demandant au département du Commerce d’ouvrir une enquête sur les importations de véhicules automobiles et de pièces pour des raisons de sécurité nationale. Le Département doit présenter ses résultats et ses recommandations en février 2019, mais pourrait le faire plus tôt. Le président aura alors 90 jours pour rendre sa décision, sans être tenu de mettre les recommandations en œuvre d’une quelconque manière.1

Le secteur automobile occupe une place importante dans l’économie canadienne

Le secteur automobile contribue fortement à l’économie du Canada et, en particulier, à celle de l’Ontario. Les exportations de véhicules automobiles et de pièces représentaient près du cinquième des exportations en 2017 (graphique 1), la part étant environ deux fois plus élevée pour l’Ontario. Le secteur automobile est bien intégré en Amérique du Nord, notamment en raison des échanges bilatéraux importants de véhicules finis et de pièces avec les États-Unis. Somme toute, l’imposition de droits de douane toucherait des exportations évaluées à 74 milliards de dollars canadiens (près de 4 % du PIB canadien), et les effets se répercuteraient sans doute sur des importations de véhicules automobiles et de pièces totalisant environ 45 milliards de dollars canadiens. Une liste des produits ciblés, selon l’annonce de l’enquête par le département du Commerce des États-Unis, figure en annexe.2

Principales hypothèses

L’analyse tient compte de droits de douane de 10 % sur les pièces et moteurs d’automobiles et de 25 % sur les véhicules automobiles. Cette hypothèse s’appuie sur la « logique » rudimentaire d’imposer des droits de douane plus élevés sur la catégorie de biens fournissant une plus grande valeur ajoutée et, dans une certaine mesure, de réduire au minimum les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement américaine. On obtient ainsi un taux de droits de douane pondéré de 21 % sur les exportations canadiennes de véhicules automobiles et de pièces vers les États-Unis, ce qui correspond à des droits de 2,9 % sur l’ensemble des exportations.3 Comme il l’a fait pour l’acier et l’aluminium, le Canada ripostera sans doute en imposant des droits équivalents sur une valeur égale de biens importés des États-Unis. Le taux réel pondéré des droits de douane sur les importations serait donc de 5,4 %.4 L’imposition de droits devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2019. Comme pour l’acier et l’aluminium, le président devrait se prononcer sur les résultats de l’enquête du département du Commerce en mars 2019, en accordant une exemption initiale qui viendra ultimement à échéance. 

L’analyse laisse entrevoir un recul économique modeste concentré en Ontario

Le scénario comporte deux chocs importants et simultanés. Le premier correspond aux répercussions directes des droits de douane, qui sont simulées comme un choc sur les prix à l’exportation et à l’importation. Ce choc résulterait dans un changement permanent des prix. Les dépenses aux États-Unis devraient réagir conformément à l’élasticité historique, ce qui créerait un choc négatif sur la demande pour les produits canadiens. Le deuxième choc est lié aux répercussions sur la confiance, qui influent négativement sur les marchés boursiers, le moral des consommateurs et, surtout, la confiance des entreprises et leurs projets d’investissement.

Chart 2: Significant Negative Impacts From Auto and Parts Tariffs

Les résultats sont étonnants. Les conséquences de la première phase seraient relativement modestes et réduiraient la production économique d’environ 0,4 % par rapport à ce qu’elle aurait été autrement, le choc maximal étant atteint après presque quatre trimestres. Le terrain perdu serait rattrapé dans un délai d’environ deux ans. Mais si l’on inclut les effets sur la confiance, les conséquences seraient beaucoup plus désastreuses. Le choc maximal sur la production serait d’environ 1,2 % et serait également atteint après environ quatre trimestres. Cette perte de production avoisinerait les 25 milliards de dollars indexés de 2007 (c.-à-d. en termes réels). De plus, comme les investissements seraient fortement réduits, une partie de la production perdue ne serait jamais récupérée. En raison de cette « cicatrice » (ou choc négatif sur l’offre), le niveau de production demeurerait constamment inférieur de 0,2 point de pourcentage par rapport au statu quo ou au scénario de base (graphique 2).

Concrètement, la croissance du PIB stagnerait pendant un semestre pour s’établir à -0,7 % et à -0,1 % d’un trimestre à l’autre (taux annualisés) aux troisième et quatrième trimestres de 2019, respectivement. La croissance serait donc réduite de près d’un demi-point de pourcentage en 2019. Les pertes d’emploi seraient énormes, soit environ 160 000 postes nets par rapport au statu quo. Presque toutes ces pertes seraient enregistrées en Ontario.

Pour mettre les choses en perspective, 1,7 million de Canadiens travaillaient dans le secteur manufacturier en 2017, dont 771 000 en Ontario. Ce choc pourrait donc causer la perte de près d’un emploi sur dix dans ce secteur, ou d’un emploi sur cinq en Ontario. Il s’agirait en fait d’un scénario semblable à celui des pertes d’emploi subies entre 2008 et 2010, qui n’ont pas encore été récupérées.5 Un tel choc serait suffisant pour annuler tous les gains d’emploi (dans l’ensemble des secteurs) enregistrés en Ontario au cours des deux dernières années.

Tableau 1 : Les droits de douane sur 
les véhicules automobiles donnent des résultats négatifs
Indicateur Choc maximal
PIB -1.30 %
Exportations -2.30 %
Importations -4.60 %
Invest. des entreprises -8.90 %
Consommation -0.60 %
Taux de chômage +0,8 p.p. (= 160k emplois)
Choc permanent sur le PIB -0.20 %
Remarque :  Les répercussions sont établies selon le scénario de base. 
Source : Services économiques TD 

La croissance dans l’ensemble du Canada pourrait stagner momentanément, mais les répercussions sur l’Ontario seraient plus graves. La croissance du PIB pourrait perdre jusqu’à deux points de pourcentage, comme ce fut le cas en 2007-2008. Ces effets seraient sans doute neutralisés en partie par la politique monétaire, la Banque du Canada réduisant probablement son taux directeur pour compenser les droits de douane élevés. Le huard se déprécierait de 8 à 15 % ce qui provoquerait une forte volatilité. Les répercussions défavorables résumées dans le tableau 1, qui se produisent malgré l’adoption de mesures d’atténuation, témoignent de l’ampleur des risques liés aux négociations commerciales en cours.

Soulignons que la présente analyse ne tient pas compte d’éventuels programmes de soutien des gouvernements. Si l’on se fie à la réponse du Québec aux droits de douane imposés sur l’aluminium, les autres gouvernements vont sans doute réagir. Étant donné l’importance du secteur, il est probable qu’une aide provinciale et fédérale soit accordée. Cette aide pourrait atténuer une partie des effets, mais en raison des risques élevés pesant sur les échanges commerciaux et de la substituabilité de certains produits importants, il est difficile d’imaginer des mesures de soutien capables de neutraliser la majorité des répercussions négatives.

Même les Canadiens ayant la chance de ne pas se trouver directement dans la ligne de mire devraient en ressentir les effets dans leur portefeuille. Les droits de douane entraînent ce que les économistes appellent une perte sèche : les effets sur les prix et la consommation sont généralement plus importants que les revenus générés par ces droits. Autrement dit, même si les gouvernements redistribuaient ces revenus aux acteurs touchés, ils ne pourront pas compenser les pertes qui en découlent. Ce résultat bien établi est l’une des principales raisons pour lesquelles pratiquement tous les économistes soutiennent le libre-échange.6

En effet, même si la présente analyse porte essentiellement sur le Canada, les États-Unis pâtiraient aussi de cette situation. Environ la moitié des véhicules neufs vendus aux États-Unis en 2017 étaient importés. Les consommateurs américains ressentiront donc des effets, même si l’on fait abstraction des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement et d’autres facteurs défavorables.

Bien que ce scénario soit plutôt pessimiste, les risques sont encore plus orientés à la baisse. Les modèles économiques utilisés dans cette analyse sont généralement réservés aux prévisions macroéconomiques et aux analyses de politiques et n’incluent pas tous les liens avec le secteur. Par conséquent, même si les chocs sur la confiance représentent sans doute la majeure partie de ces liens, les effets d’entraînement pourraient être encore plus importants. Il n’est pas difficile d’imaginer des répercussions négatives sur le marché immobilier, les ventes au détail et d’autres indicateurs clés, notamment dans la région élargie du Golden Horseshoe en Ontario, où se trouve une grande partie du secteur automobile.

En conclusion

Que ce soit grâce au Pacte de l’automobile, à l’ACCEU ou à l’ALENA, le secteur canadien de l’automobile jouit depuis longtemps d’un accès au marché américain et occupe une place importante au sein de l’économie canadienne. En raison de cette importance, l’éventuelle imposition de droits de douane par les États-Unis et les représailles correspondantes du Canada nuiraient à la production de sorte que l’économie stagnerait pendant un semestre. Les conséquences seraient beaucoup plus dévastatrices pour l’Ontario, puisque le secteur automobile y est concentré. Heureusement, la présente analyse ne présente que des hypothèses. Nous maintenons nos prévisions de base, qui tiennent compte d’une résolution des négociations de l’ALENA, même si les événements récents augmentent au final le risque d’une dissolution ou d’une véritable guerre commerciale. Étant donné les taux d’utilisation des capacités aux États-Unis, les droits de douane recommandés pourraient être moins élevés que ceux présentés dans cette analyse, ce qui atténuerait les répercussions. De plus, il est peu probable que la forte visibilité des droits de douane potentiels et les hausses de prix qui en résulteraient plaisent aux électeurs. Néanmoins, l’importance du secteur automobile et du commerce en général pour l’économie du Canada témoigne des enjeux de taille auxquels font face les négociateurs commerciaux canadiens.

Notes

  1. Par exemple, à l’issue de l’enquête sur l’acier, des droits de douane de 24 % et de 7,7 % avaient été recommandés sur toutes les importations d’acier et d’aluminium, respectivement. Dans les deux cas, des droits de douane cibles plus élevés ont été proposés en remplacement. Finalement, des droits de 25 % et de 10 %, respectivement, ont été imposés, certains pays étant exemptés en raison de restrictions volontaires à l’exportation (quotas).
  2. Il convient de noter que les recommandations ne mentionnent pas d’autres produits de transport, comme les autocars, les autobus ou les avions.
  3. De plus, pour les droits de douane sur l’acier et l’aluminium, les recommandations du département du Commerce visaient un taux d’utilisation des capacités de 80 %, qui est considéré comme le « taux minimal nécessaire pour assurer la viabilité à long terme du secteur ». Par comparaison, en avril 2018, les fabricants américains de véhicules automobiles et de pièces affichaient un taux d’utilisation des capacités de 80,5 %. En 2017, le taux d’utilisation des capacités s’établissait en moyenne à 77,7 %.
  4. Même si les droits de douane présumés pour le secteur sont relativement élevés, le taux effectif utilisé dans la présente analyse est sans doute légèrement prudent, car en raison de la forte intégration du secteur automobile en Amérique du Nord, les pièces peuvent traverser la frontière plusieurs fois durant le processus de production, ce qui pourrait faire boule de neige sur les effets des droits de douane.
  5. Le nombre d’emplois dans le secteur manufacturier en Ontario a atteint un sommet de 1,1 million en 2004, mais demeure autour de 750 000 depuis 2010.
  6. Consultez, par exemple, les résultats du sondage d’IGM Forum mené auprès d’un vaste échantillon d’économistes de tous les horizons politiques. Bien entendu, il convient aussi de noter que les avantages s’accompagnent d’effets distributifs sur les revenus et l’emploi, qui doivent également être pris en compte.

Annexe : Catégories de produits ciblées et droits de douane présumés

Les catégories de produits (et codes SH) et droits de douane suivants constituent la base de l’analyse :

Code SH et description Droits de
douane présumés
8703 – Véhicules automobiles conçus pour le transport de personnes 
(à l’exclusion des véhicules conçus pour le transport en commun)
25 %
840731 – Moteurs à piston alternatif - pour véhicules routiers ou tout-terrain - cylindrée de moins de 50 cc 10 %
840732 – Moteurs à piston alternatif - pour véhicules routiers ou tout-terrain - cylindrée de 50 cc à 250 cc 10 %
840733 – Moteurs à piston alternatif - pour véhicules routiers ou tout-terrain - cylindrée de 250 cc à 1 000 cc 10 %
840734 – Moteurs à piston alternatif - pour véhicules routiers ou tout-terrain - cylindrée de plus de 1 000 cc 10 %
840790 – Autres moteurs (allumage par étincelle, à piston alternatif ou rotatif) n.d.a. 10 %
8408 – Moteurs diesel ou semi-diesel 10 %
840991 – Parties exclusivement destinées aux moteurs à piston à allumage par étincelles n.d.a. 10 %
840999 – Parties de moteurs diesel ou semi-diesel 10 %
8706 – Châssis des véhicules automobiles, équipés de leur moteur 10 %
8707 – Carrosseries des véhicules automobiles 10 %
8708 – Parties des véhicules automobiles (excluant la carrosserie, le châssis et le moteur) 10 %

Avis de non-responsabilité

Le présent rapport est fourni par les Services économiques TD. Il est produit à des fins informatives et éducatives seulement à la date de rédaction, et peut ne pas convenir à d’autres fins. Les points de vue et les opinions qui y sont exprimés peuvent changer en tout temps selon les conditions du marché ou autres, et les prévisions peuvent ne pas se réaliser. Ce rapport ne doit pas servir de source de conseils ou de recommandations de placement, ne constitue pas une sollicitation d’achat ou de vente de titres, et ne doit pas être considéré comme une source de conseils juridiques, fiscaux ou de placement précis. Il ne vise pas à communiquer des renseignements importants sur les affaires du Groupe Banque TD, et les membres des Services économiques TD ne sont pas des porte-parole du Groupe Banque TD en ce qui concerne les affaires de celui-ci. L’information contenue dans ce rapport provient de sources jugées fiables, mais son exactitude et son exhaustivité ne sont pas garanties. De plus, ce rapport contient des analyses et des opinions portant sur l’économie, notamment au sujet du rendement économique et financier à venir. Par ailleurs, ces analyses et opinions reposent sur certaines hypothèses et d’autresfacteurs, et sont sujettes à des risques et à des incertitudes intrinsèques. Les résultats réels pourraient être très différents. La Banque Toronto-Dominion ainsi que ses sociétés affiliées et entités apparentées qui constituent le Groupe Banque TD ne peuvent être tenues responsables des erreurs ou omissions que pourraient contenir l’information, les analyses ou les opinions comprises dans ce rapport, ni des pertes ou dommages subis.