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Perspective: Les parents et le syndrome FOMO dans un monde post-numérique

Beata Caranci, PVP et économiste en chef, Groupe Banque TD | 416-982-8067

date publiée: 1er février 2018

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L’automne dernier, nous avons publié un rapport intitulé Les femmes en STGM : Combler l’écart, qui étudiait la façon dont les établissements d’enseignement et les entreprises peuvent créer une économie plus inclusive en s’attaquant à la marginalisation des femmes dans les domaines des sciences, des technologies, du génie et des mathématiques (STGM). J’ai été immédiatement surprise – et honorée – du nombre de personnes qui m’ont fait part de leur expérience. Un thème s’est incontestablement dégagé des commentaires, celui de l’anxiété parentale, qui peut se traduire spontanément par le syndrome FOMO, ou la peur de rater une occasion. Cette peur pousse les parents à se questionner sur le type d’éducation dont leur enfant aura besoin pour assurer son avenir dans un monde post-numérique. Cette préoccupation ne touche pas uniquement les parents de filles.

Les parents qui ont le syndrome FOMO peuvent être classés en deux catégories. Dans la première, on retrouve les parents confus qui manquent de confiance et de connaissances sur les ressources en STGM pour les enfants d’âge scolaire. Cela n’est pas surprenant, car j’ai moi-même dû faire face à ce problème lors de mes recherches. Il existe de nombreux programmes complémentaires à l’extérieur du système scolaire public traditionnel. Les parents qui n’ont aucune connaissance en STGM ou qui ne travaillent ni ne connaissent personne dans l’un de ces domaines peuvent être dépassés et découragés par la multitude d’options. Comment peuvent-ils les évaluer et déterminer celle qui leur en donnera le plus pour leur argent, surtout compte tenu de l’impact important que cette décision pourrait avoir sur l’avenir de leur enfant? Dans les annexes 1A et 1B de notre article sur les STGM, nous avons tenté de simplifier la prise de décisions en dressant une liste des nombreux organismes présents dans les différentes provinces, mais ce travail a été laborieux et ne représente en rien le nombre effarant de programmes offerts. Si l’on examine cette dynamique d’un point de vue économique, les parents font face à une asymétrie d’information. Sous sa forme la plus extrême, cette dynamique peut entraîner des défaillances du marché. Mais dans la situation actuelle, elle produira probablement des situations sous-optimales pour de nombreux parents et leurs enfants qui investiront énormément de temps et d’argent à trouver des programmes éducatifs complémentaires et à y participer par essais-erreurs. Ainsi, ce contexte pourrait spontanément décourager les familles d’opter pour un domaine en STGM en raison de la difficulté à faire un choix, sans parler des coûts potentiels rattachés à la formation dans l’un de ces domaines.

Les commentaires ont révélé que plusieurs parents inscrivent leurs enfants à des programmes éducatifs complémentaires qui ont lieu après les classes, la fin de semaine ou l’été afin de les exposer davantage à différents domaines, comme la robotique ou le codage. Cependant, cette situation est alarmante pour une économiste. Les coûts associés aux programmes préparatoires en STGM donnés à l’extérieur du système public peuvent devenir une barrière à l’entrée pour les familles à faible revenu. En effet, si l’on juge que le système public n’offre pas de programmes adéquats, les enfants de familles mieux nanties auront un avantage qui mènera à des emplois mieux payés, ce qui peut créer des inégalités salariales plus importantes dans le futur. Les domaines en STGM marginalisent déjà considérablement les femmes, mais un obstacle additionnel pourrait maintenant se dresser devant tous les enfants de familles à faible revenu. La future main-d’œuvre n’utilisera donc pas pleinement ses capacités; elle sera plutôt le reflet, à certains égards, des résultats d’une loterie basée sur le sexe, le revenu familial et la connaissance des parents à l’égard des ressources.

La deuxième catégorie de parents qui ont le syndrome FOMO est le résultat des innombrables manchettes dans les médias qui mettent l’accent sur le remplacement de la main-d’œuvre par des machines. Les études universitaires de mon enfant seront-elles suffisantes pour lui permettre de se trouver un emploi? Il est très facile de trouver des grands titres qui renforcent cette crainte. Le contrat social en vertu duquel les parents ont toujours vécu stipulait qu’en poursuivant des études supérieures, leurs enfants obtiendraient un revenu stable et seraient à l’abri d’une perte d’emploi qui pourrait être causée par les avancements technologiques. C’était en grande partie le cas. Ce sont les travailleurs peu ou moyennement qualifiés qui ont souffert le plus des progrès technologiques, surtout dans le secteur manufacturier.

Toutefois, rien ne confirme qu’il en sera toujours ainsi. Bien que je défende ardemment la mise à profit des compétences des femmes dans les domaines d’éducation en STGM, il ne s’agit pas d’une solution miracle pour un emploi et un revenu garantis. Il faut savoir faire la différence entre la nécessité de déconstruire les préjugés systémiques dans la société, l’éducation et les entreprises qui découragent les femmes qualifiées à entreprendre une carrière en STGM, et la nécessité de préparer la vaste majorité de la main-d’œuvre canadienne pour l’avenir. Les technologies perturbatrices ont des répercussions sur l’ensemble des secteurs et des emplois, que ce soit sur l’ingénieur en matériel informatique de télécommunications ou le conseiller en services financiers. Il est probable que les diplômes universitaires, même en STGM, deviendront plus rapidement obsolètes en raison de la vitesse et de l’ampleur incroyables des changements auxquels nous devrons faire face dans un monde post-numérique. Pensons-y : nous commençons tout juste à explorer les technologies perturbatrices, comme l’intelligence artificielle et la robotique. Nous ne connaissons donc pas les compétences exactes que la future main-d’œuvre devra acquérir, indépendamment des choix d’éducation ou d’emploi.

Dans un contexte de grande incertitude, il est facile de figer au moment de prendre une décision. Cependant, je ne fais pas partie des économistes pessimistes. La majeure partie de la population ne se retrouvera pas dans un état d’oisiveté perpétuel, philosophant sur l’œuvre de Shakespeare ou sur des questions existentielles. Le milieu du travail s’adapte constamment, tout comme l’être humain. En fait, nous y arrivons très bien. La troisième loi de Newton affirme que chaque action entraîne une réaction opposée de force égale. Le monde post-numérique sera probablement plus favorable aux personnes et aux entreprises qui :

  1. font preuve d’agilité;
  2. acceptent un apprentissage continu; et
  3. conçoivent l’avancement de carrière dans une perspective multidirectionnelle plutôt que comme une simple ascension.

Le contrat social d’autrefois se fondait en grande partie sur l’obtention d’un diplôme universitaire et le potentiel professionnel, mais ce concept est maintenant dépassé. Le marché de l’emploi du futur favorisera probablement de plus en plus les personnes qui conçoivent le perfectionnement de carrière comme le prolongement de leur expérience universitaire. Les carrières multidirectionnelles et le perfectionnement professionnel assureront l’évolution des compétences pour qu’elles restent pertinentes sur le marché.

Le contrat social entre les employés et les employeurs se verra renforcé grâce à un partenariat d’apprentissage plus étroit. De leur côté, les employés s’engageront à démontrer leur capacité d’apprentissage au fil du temps, et ce, sur plusieurs plateformes de formation et parcours professionnels. Les employeurs, eux, s’engageront à soutenir le recyclage de leurs employés et à intégrer des occasions de transition aux modèles d’affaire en évolution. L’apprentissage en milieu de travail a toujours été un aspect important et il le sera davantage.

Cela exige que nous repensions l’enseignement traditionnel, et ce, à tous les niveaux. Nous observons déjà l’établissement de partenariats d’apprentissage entre entreprises et universités, un mouvement qui pourrait prendre de l’ampleur dans les années à venir. Le modèle d’enseignement traditionnel reposait grandement sur l’offre : les entreprises acceptaient les diplômés et les programmes d’études offerts par les universités. La transformation économique fulgurante dans un monde post-numérique pourrait, à contrario, favoriser de plus en plus des modèles d’éducation axés sur la demande, ce qui signifie que les entreprises identifient et orientent davantage les programmes en fonction des compétences requises sur le marché du travail.

Chart 1: Occupations Topping the List For Longest Average Tenure

De plus, les entreprises seront encouragées à renforcer leurs propres programmes de formation afin d’aider leurs employés à acquérir des compétences de base, comme celles liées à l’infonuagique et à la réflexion adaptative. Il ne sera ni rentable ni faisable, surtout pour les grandes entreprises, d’adopter des modèles qui préconisent l’embauche de nouveaux diplômés pour combler les lacunes de connaissances des employés actuels. Non seulement le nombre de nouveaux diplômés sur le marché sera insuffisant pour répondre à cette demande, mais les entreprises verraient également leurs coûts de main-d’œuvre grimper exponentiellement en raison d’une forte demande. Plus important encore, la préservation des connaissances institutionnelles et des réseaux informels ainsi que la fidélisation des employés sont des valeurs intrinsèques majeures pour les entreprises. Selon Statistique Canada, la durée d’occupation d’un emploi en 2017 était d’environ 12 ans pour les postes de gestion; de 9 ans pour les postes en affaires et en finances; et de 8 ans pour les emplois en commerce et en transport (graphique 1). Pour les entreprises, les employés actuels représentent leur plus grand atout, et aucune d’entre elles n’est à l’abri des pressions de plus en plus importantes exercées par la concurrence à l’échelle mondiale. Prenons l’exemple d’AT&T. Cette entreprise a reçu une grande attention médiatique il y a moins de deux ans après s’être fixé la tâche colossale de créer un programme de recyclage professionnel et de redéfinition des postes afin d’améliorer la mobilité professionnelle et l’interchangeabilité au sein de l’entreprise. À l’époque, AT&T employait environ 280 000 personnes, et elle avait noté que près de la moitié de ses employés actualisaient leurs compétences.

À mesure que les changements technologiques s’accélèrent, les entreprises de toutes tailles seront progressivement poussées à se réoutiller et à mettre l’accent sur l’apprentissage continu. Le tableau 1 présente une courte liste des compétences qui sont très recherchées et qui devraient l’être pour encore plusieurs années.  Toutefois, il ne s’agit ici que d’un mince aperçu à un moment précis; les besoins évolueront eux aussi.

Tableau 1 : Différents types de compétences

Compétences techniques Compétences cognitives
• Infonuagique et informatique distribuée • Intelligence émotionnelle et gestion du personnel
• Analyse de données • Collaboration virtuelle
• Architecture et développement Web  • Raisonnement nouveau et souple (trouver des solutions 
au-delà de ses fonctions)
• Intergiciel et logiciel d’intégration • Nature transdisciplinaire (comprendre des concepts de différentes disciplines) 
• Conception d’interface utilisateur • Enseignement, formation, mentorat
• Sécurité des réseaux et de l’information • Orientation service
• Développement mobile  • Pensée computationnelle (traduire une vaste quantité de données 
en concepts abstraits)
• Optimisation et marketing des moteurs de recherche  • Négociation
  Source : Services économiques TD.

À titre d’exemple, de nombreux employés vivent déjà le récent changement de cap de leur entreprise vers l’analyse des données qui a abouti à des avancées technologiques dans le domaine des mégadonnées. Cependant, le développement des compétences techniques plutôt que leur entretien exige différents types de main-d’œuvre. Il est très facile d’automatiser l’analyse de données après la création d’une infrastructure. Au fil du temps, la demande pour des employés qui effectuent cette tâche décline. Néanmoins, les mégadonnées, en raison de leur nature, créent une demande pour des employés qui excellent dans la traduction d’une énorme quantité de données en concepts abstraits et qui comprennent la logique computationnelle. Ces compétences techniques et cognitives vont de pair, mais un employé ne les possède pas forcément toutes les deux, particulièrement en l’absence de perfectionnement. Vous pouvez vous imaginer le pire des scénarios : des employés perdus au milieu d’un océan de données incroyablement détaillées et accessibles, qui mettent en œuvre des stratégies allant dans toutes les directions, y compris les mauvaises.

Chart 2: Direct Learning Expenditures Per Employee

La transformation des capacités en milieu de travail se fait en temps réel et sa vitesse comptera pour beaucoup. Les gouvernements ont ainsi l’occasion de revoir les lignes directrices et les mesures incitatives qui ont trait aux modèles de financement actuels de la formation en entreprise. Cela encouragera les entreprises de toutes tailles à accroître leurs efforts de recyclage des effectifs. Cela pourrait atténuer les risques que les travailleurs déplacés subissent de longues périodes de chômage ou pire, qu’ils soient tenus en marge du marché du travail de manière permanente. Le graphique 2 permet de soupçonner que les entreprises sous-financent possiblement la formation et que ce type de financement est considérablement touché par les fluctuations du cycle économique. 

Lorsque les entreprises favorisent l’acquisition de compétences transférables, l’économie et la société en profitent largement. Les employés touchés par les technologies perturbatrices pourraient soit accéder à des postes en entreprise de façon multidirectionnelle, soit avoir de meilleures chances de réintégrer le marché du travail grâce à leurs compétences monnayables, et ce, même lorsqu’ils ne répondent plus exactement aux besoins de leur ancien employeur. 

Naturellement, les formateurs sont des acteurs clés dans le défi lié à la main-d’œuvre, car ils doivent à la fois faire preuve d’agilité et posséder une expertise dans la formation et l’adaptation des compétences de bases des enseignants et des programmes. Mais ils ne peuvent pas s’acquitter à eux seuls d’une tâche aussi titanesque. Nous aurons tous un rôle à jouer dans la redéfinition du contrat social sur l’enseignement dans l’avenir.  

Dans notre étude sur les femmes dans les domaines en STGM, nous avons analysé les frictions sur le marché du travail du point de vue des femmes et des filles. Mais les commentaires qui sont ressortis dans les jours suivants ont permis de noter la présence d’une anxiété à l’égard des frictions sur le milieu du travail dans tous les niveaux d’emplois et d’éducation. Dans un contexte économique qui évolue rapidement et où les parents tentent de composer avec les changements, l’apparition du syndrome FOMO n’est pas surprenante. La transformation d’un stéréotype éculé facilite la création d’une structure plus intuitive. On dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant, et la solution semble passer par la création d’un milieu de travail similaire à un village : un marché qui est axé sur l’apprentissage continu et qui permet aux employés d’être des partenaires égaux.

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