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50 est-il le nouveau 25?

Beata Caranci, première vice-présidente et économiste en chef | 416-982-8067

date publiée: 25 octobre 2024

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Non, je ne parle pas d’âge, même si je reconnais que cela me plairait bien! J’ai su que j’allais devoir en démordre après l’annonce de la Banque du Canada (BdC) de mercredi, les marchés ayant anticipé une réduction de taux de 50 points de base (pdb). Je ne regrette pas d’avoir la conviction que les risques doivent être gérés lorsque la BdC annonce une réduction de taux qui s’aligne historiquement sur les réductions de taux en période d’urgence. Cela pourrait conditionner les Canadiens à s’attendre à ce que les données erronées se traduisent par de fortes réponses sur le plan monétaire. J’espérais que cette question serait clairement abordée lors de la conférence de presse. Malheureusement, cela n’a pas été le cas, et rien n’indique qu’une nouvelle réduction de 50 pdb est prévue pour décembre. 

Fait rare : le pétrole a été mentionné à deux reprises dans le communiqué de presse. L’or noir a contribué à une baisse de l’inflation plus importante que prévu, mais il suffirait d’une perturbation de l’offre en raison d’événements géopolitiques pour provoquer une flambée des prix. Si tel est le cas, faut-il en conclure que tout est possible pour ce qui est des futures baisses de taux? Bien sûr que non.   

Viennent ensuite les prix des logements, dont on a constaté la décélération. Évidemment! Ce phénomène est largement prévisible et observable. L’impact le plus marqué de la hausse fulgurante des taux hypothécaires est derrière nous. De plus, ces derniers ont vu leurs coûts baisser, sous l’effet de la baisse des taux d’intérêt, ce qui a contribué à une « réaction circulaire » dans les mesures de l’inflation. Près du cinquième des coûts d’habitation découle de ce seul facteur, et les modèles ont correctement prédit ce relâchement de l’élan de croissance.   

Ensuite, il a été mentionné que les mesures de base privilégiées de la BdC s’établissaient à un peu moins de 2,5 %. Le message qui indiquait que 2,5 % était un seuil significatif, plutôt que le point médian de la fourchette d’inflation, n’a pas dû se rendre. De plus, la BdC n’a apporté aucun changement important à ses perspectives quant à l’économie ou aux mesures d’inflation de base, à l’exception de l’évaluation à la valeur du marché au troisième trimestre.

Carolyn Rogers a donné l’explication la plus claire (et la plus transparente) : avec le temps et les données supplémentaires dont on dispose, la réduction de 50 pdb témoigne d’une grande confiance à l’égard d’une inflation qui se maintiendra près des 2 %. De ce fait, une normalisation plus rapide des taux est justifiée. Toutefois, cette logique implique automatiquement une nouvelle réduction de 50 pdb en décembre, à moins que les prévisions de la BdC ne soient largement revues à la hausse. Sans surprise, les marchés évaluent à 66 % la probabilité que la BdC procède ainsi. 

La normalisation signifie de revenir à la fourchette du taux neutre de la BdC qui, selon ses propres estimations, se situe entre 2,25 % et 3,25 %. Le point médian est réputé être la cible idéale. Cependant, cette fourchette n’est pas statique. Elle est revue régulièrement en fonction de l’évolution de la population et de la productivité. À titre d’exemple, les récents changements annoncés par le gouvernement en ce qui concerne les objectifs en matière d’immigration devraient se traduire par un abaissement de la fourchette en raison des répercussions sur le marché de l’emploi. De plus, les mauvais résultats persistants du Canada en matière de productivité plaident encore plus en faveur d’un abaissement de cette fourchette. Toutefois, une telle mesure ne ferait que signifier que le taux directeur de la BdC est encore plus éloigné du taux neutre que ce que l’on croyait initialement, ce qui constitue un argument supplémentaire en faveur de plusieurs réductions de taux de 50 pdb pour parvenir à une normalisation. Or, dans l’état actuel des choses, cela suppose un retour à au moins 2,75 %. Lors de la conférence de presse, il n’a pas été question du rythme adéquat à suivre. La seule chose à retenir est que si les prévisions de la BdC se concrétisent, une nouvelle baisse des taux d’intérêt sera décidée.

Revenons aux données fondamentales et examinons ce qui motive vraiment les importantes réductions de taux. Pendant des décennies, les banques centrales ont ancré dans l’esprit des gens que la meilleure approche en matière de politique monétaire était la suivante :

  • des rajustements graduels (et transparents).   
  • Les décisions sont prises en fonction d’un contexte économique et de risque prospectif, généralement compris dans une fourchette de 12 à 18 mois. 

Cependant, cette époque date d’avant la pandémie de COVID-19, lorsque les banques centrales accordaient une confiance raisonnable aux modèles de prévision et aux relations historiques. Depuis, la communication s’est orientée vers une attention particulière portée aux données sur la situation actuelle par les analystes. Plus que de se fonder sur une tendance des données, la confiance exige des preuves irréfutables. 

Cela est compréhensible dans la mesure où aucun modèle n’avait été conçu pour prédire la poussée inflationniste persistante engendrée par la pandémie de COVID-19. Le choc s’est produit simultanément au niveau de l’offre et de la demande. La plupart des modèles macroéconomiques sont plus performants sur le plan de la compréhension de la demande que de l’offre. Mais là aussi, des échecs cuisants ont été constatés. Par exemple, le taux de chômage s’est toujours avéré très utile pour prédire les difficultés financières des ménages et les habitudes de consommation. Toutefois, il n’avait aucune chance d’être exact tout au long de la pandémie de COVID-19, qui a été marquée par un nombre historique de départs, les remboursements de prêts ayant été suspendus et les comptes bancaires des ménages ayant été abondés par des aides gouvernementales colossales.  

Cette époque est désormais révolue, et les apprentissages ainsi que la sophistication des modèles ont progressé, tout comme la compréhension des personnes qui s’y fient. En l’absence de facteurs inhabituels ou uniques, la confiance dans les résultats prévisionnels des modèles et du jugement devrait s’accroître. Pourtant, la banque centrale continue de surveiller les données immédiates et de communiquer sur celles-ci afin de prendre ses décisions. De fait, les décisions sont fondées sur les fluctuations des données, qui informent davantage sur le trimestre à venir que sur le moyen terme. Il ne s’agit pas seulement d’un phénomène propre à la BdC, mais d’une tendance mondiale des banques centrales.  

Qu’est-ce que cela pourrait signifier dans l’ensemble? L’une des répercussions est la hausse de la volatilité des taux d’intérêt. Les fluctuations de 50, 75 ou 100 pdb ne seront plus réservées aux situations d’urgence où le risque de récession est élevé. Les cycles de taux d’intérêt commencent plus tardivement, mais se contractent ensuite, ce qui crée des hausses et des réductions plus importantes, voire de la volatilité. 

Est-ce que c’est une mauvaise chose? Pas totalement. Comme la BdC l’a indiqué, elle souhaite parvenir à la stabilité. Une fluctuation plus marquée des taux d’intérêt ne signifie pas que la BdC en sait plus que vous. Il s’agit plutôt d’un aveu de son retard sur la courbe d’inflation, car c’est ce qui arrive naturellement lorsque l’accent est mis sur les variations des données à court terme. Bien entendu, vous accuserez un retard sur la courbe le temps de prendre connaissance des données et de constater une tendance persistante. Après tout, les données sont déjà rétrospectives. Néanmoins, une fois que cette réalité est connue, l’ajustement se fait rapidement pour tenter d’éviter d’alourdir les pressions sur l’économie. Comme l’a souligné le gouverneur de la BdC, nous avons procédé à une plus grosse réduction parce que l’inflation est de retour à 2 % et que nous voulons qu’elle reste près de la cible. 

Cependant, cette situation peut également conduire les ménages à développer une logique d’accumulation. Les Canadiens n’ont pas peur de s’endetter. Or, le marché du logement est un véritable sport, dont l’équipe est constituée de la croissance de la population et de l’insuffisance de l’offre dans des segments clés, comme le marché des maisons unifamiliales. Les données historiques du Canada dans le secteur du logement sont claires : elles réagissent rapidement aux fluctuations des taux d’intérêt. Par ailleurs, nous sortons tout juste d’un long cycle de demande accumulée. Qui plus est, le gouvernement attise le marché avec de récents changements de politique qui stimuleront la demande parmi les acheteurs d’une première maison. Ainsi, deux grands canaux alimenteront simultanément le marché du logement, même si les flux d’immigration se tarissent à la suite des récentes mesures annoncées par le gouvernement. 

Certaines personnes voudront prendre les devants et conclure une « opération immobilière » avant que la combinaison des mesures gouvernementales et des taux d’intérêt encore plus bas crée une augmentation de la demande qui risque de faire basculer les marchés d’une situation d’équilibre vers un marché de vendeurs. En revanche, les personnes qui ont besoin de ces mesures gouvernementales devront patienter. Par conséquent, aux yeux des personnes qui suivent de près les données actuelles, les données sur le logement produites au cours des prochains moispourraient donner l’impression que les Canadiens ne réagissent pas excessivement aux baisses de taux d’intérêt, mais je suis convaincue que le naturel reviendra au galop. L’année 2025 pourrait voir une meilleure réaction sur le plan de la demande de logements, car la politique monétaire et la politique gouvernementale vont se conjuguer pour libérer la demande accumulée. 

Si la BdC entend prioriser les données à court terme en procédant à des baisses de taux importantes, il faut tenir compte du fait qu’elle doit être tout aussi attentive à l’évolution des risques. Cette situation peut conduire à une surcorrection des taux d’intérêt, lesquels sont alors baissés de façon excessive avant d’être rajustés à la hausse, les ménages dépensant plus subitement que lorsque les taux d’intérêt obéissent à des cycles plus graduels. De même, elle pourrait déboucher sur une politique monétaire marquée d’arrêts et de redémarrages.

Perspectives relatives aux taux d’intérêt

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