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L’Observateur financier:

À vos marques, prêts… Réduisez! Réduisez! Réduisez!

Beata Caranci, première vice-présidente et économiste en chef | 416-982-8067 
James Orlando, CFA, directeur général et économiste principal | 416-413-3180

Date Published: 26 aout 2024

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Faits saillants

  • La Réserve fédérale américaine (Fed) est enfin prête à réduire les taux d’intérêt, mais on ignore encore le rythme et l’ampleur des réductions à venir. 
  • Nous estimons qu’elle sera de 25 points de base (pdb) par réunion, pour un total de plus de 250 pdb pour cette année et l’année prochaine. 
  • Toutefois, maintenant que la Fed a de très bonnes raisons de croire que l’inflation reviendra à sa cible, elle déterminera la cadence et l’ampleur des réductions de taux en fonction de l’autre volet de son double mandat, à savoir la tenue du marché de l’emploi. 
  • La Banque du Canada (BdC) a agi plus tôt, et a adopté un rythme de réduction des taux de 25 pdb par réunion. Elle est d’ailleurs déjà en avance de 100 pdb sur son homologue américaine. La barre sera plus haute sur le plan économique pour justifier des réductions plus importantes que celles qui ont été décrétées. 
Le graphique 1 montre le niveau des tensions financières sur les écarts-types à gauche et le taux des obligations américaines à 2 ans en pourcentage à droite. On constate que les tensions ont augmenté en juillet, mais sont revenues à des niveaux plus bas. La situation s’est stabilisée pour s’établir à des niveaux plus faibles pour les obligations américaines à 2 ans.

La Fed annoncera sa première baisse de taux d’intérêt en quatre ans dans un peu moins de trois semaines. Même si l’attente a parfois semblé interminable, l’inflation s’est enfin stabilisée près de la cible de 2 % au moment où le marché du travail s’est nettement refroidi. La Fed ne lutte plus seulement contre l’inflation, mais a commencé à travailler pour trouver un juste équilibre entre les deux volets de son mandat afin de réussir à faire atterrir l’économie en douceur. C’est à cette étape que la nervosité commence habituellement à se faire sentir sur les marchés, car les investisseurs cherchent à déterminer si la Fed a choisi le bon moment, comme en témoignent les récents épisodes de volatilité financière (graphique 1). Ils seront particulièrement à l’affût de résultats inférieurs aux prévisions, puisque le taux directeur de la Fed demeure élevé, à 5,50 %. Nous pouvons également nous attendre à ce que les cours fluctuent, vu la nécessité pour la Fed d’agir rapidement, mais de façon mesurée. Néanmoins, une prédiction demeure : la Fed réduira les taux d’intérêt en septembre, ce qui marquera le début d’un cycle prolongé. Ce sera un long processus.

Des craintes d’inflation à une récession 

Le graphique 2 présente l’écart entre les attentes d’inflation (1 an contre trois ans) et l’inflation de base (actuelle contre la cible de 2 %) en pourcentage de 2020 à 2024. Il montre un retour à la normale dans les deux cas.

Pendant la majeure partie de 2024, les membres de la Fed étaient satisfaits de maintenir le taux directeur à 5,50 %, et à un moment donné, une baisse de taux semblait peu probable cette année. Le premier trimestre a été marqué par un regain de l’inflation et un marché de l’emploi inébranlable. La Fed a constamment repoussé le moment et l’ampleur des trois réductions qui étaient prévues avant la fin de l’année jusqu’à en garder une seule dans son résumé des projections économiques de juin. Mais les choses ont finalement changé. L’inflation a commencé à reculer au cours de l’été et l’inflation de base des dépenses personnelles de consommation (DPC) s’est établie à un taux rassurant de 2,6 % sur 12 mois. Par ailleurs, la tendance est favorable, car le rythme annualisé sur trois mois demeure en deçà de 2,5 %. Les attentes à court terme des consommateurs à l’égard de l’inflation se sont elles aussi rapprochées des niveaux à long terme (graphique 2). Qui plus est, le rapport sur l’emploi de juillet a révélé une forte baisse de l’embauche, mais le taux de chômage qui a été dévoilé a fait renaître le spectre d’une récession, selon la règle de Sahm qui est souvent évoquée. 

Pour remettre les pendules à l’heure, nous ne considérons pas la règle de Sahm comme un principe absolu permettant de prédire une récession, mais plutôt comme un indicateur de l’ampleur de la détérioration des paramètres fondamentaux du marché du travail. Les conclusions à tirer d’un examen des données sont compromises lorsque l’économie reflète une croissance rapide de la population et de la main-d’œuvre. Comme le montre le graphique 3, la hausse du taux de chômage au cours du présent cycle est attribuable à une augmentation des entrées sur le marché du travail, et non à une augmentation des sorties et des mises à pied comme lors des cycles précédents. Ces données doivent être analysées conjointement avec des variables plus fiables utilisées par le comité qui détermine les dates de récession du National Bureau of Economic Research (NBER) qui illustrent l’état général de l’économie américaine (voir le tableau 1). Selon cet éventail d’indicateurs de récession, l’économie continue de ralentir, mais ne s’effondre pas. Autrement dit, la Fed doit absolument commencer à réduire ses taux d’intérêt pour revenir à une position neutre, mais rien n’indique qu’elle devrait s’empresser de le faire.

Tableau 1 : Indicateurs de récession

Le tableau 1 montre les valeurs colorées de divers indicateurs. Pour ceux qui sont en croissance, ils sont surlignés en vert. Pour ceux proches de zéro, il est jaune.

Source : Services économiques TD. *Revenu réel moins transferts. **Ventes réelles. ***Événements où l'indicateur est devenu négatif sans récession correspondante.

  Données actuelles Tendance Récessions avérées Faux avertissements
Sondage auprès des ménages (sur 12 mois) 0.0 % 100 % 2
Enquête sur la rémunération (sur 12 mois) 1.6 % 100 % 0
Revenu personnel (sur 12 mois) 1.8 % - 78 % 2
Production industrielle (sur 12 mois) -0.2 % - 100 % 7
Ventes au détail (sur 12 mois) 1.9 % 100 % 2

Jusqu’où les taux devraient-ils baisser?

Une fois qu’on a déterminé que des baisses de taux étaient nécessaires, il est logique de se questionner sur l’ampleur de ces baisses. Les économistes utilisent des règles à titre indicatif, mais c’est la version à jour de la règle de Taylor qui est la plus citée. Elle tient compte de l’état du marché du travail ainsi que de l’écart entre l’inflation et sa cible de 2 %. Compte tenu de ces éléments, nous estimons que la politique monétaire se situe de 100 à 200 pdb au-dessus de ce qu’elle devrait être compte tenu de la conjoncture économique. L’importance de cet écart est la raison pour laquelle les participants au marché réagissent si fortement aux données économiques négatives. Tout point de données indiquant que la Fed pourrait être en retard (comme le piètre rapport sur l’emploi de juillet) est amplifié lorsqu’on considère l’ampleur des réductions de taux que la Fed devrait décréter pour revenir à des niveaux neutres. 

Le graphique 3 montre les variables de la règle de Sahm sur différents cycles. On constate que le cycle actuel est alimenté par la croissance de la main-d’œuvre, ce qui n’était pas le cas auparavant. Le graphique 4 présente le taux nominal des fonds fédéraux, le taux d’inflation de base annuel et le taux réel des fonds fédéraux en pourcentage de 2012 à 2024. On constate que la diminution de l’inflation et la stabilité du taux nominal font grimper le taux réel.

Il serait inconsidéré de ne pas mentionner que de nombreuses hypothèses sont utilisées pour mesurer le niveau approprié du taux directeur. Nous avons déjà souligné la nécessité de formuler des hypothèses sur l’état du marché de l’emploi et sur les perspectives d’inflation, mais ce qui est sans doute le plus difficile à déterminer est le taux d’intérêt neutre réel, c’est-à-dire ce taux d’intérêt idéal qui maintient l’économie dans un équilibre parfait pour éviter une croissance trop rapide ou trop lente. Ce taux est impossible à déterminer pour le moment, ce qui donne lieu à des estimations très divergentes. Selon certaines sources, l’écart est supérieur à 100 pdb. Pas étonnant que ce soit si difficile de s’entendre pour déterminer à quel point les taux d’intérêt sont restrictifs!

Ce qui est certain, c’est que plus la Fed attend, plus le taux directeur devient restrictif. Cela s’explique par le fait que l’inflation continue de diminuer. Cela fait plus d’un an que le taux directeur de la Fed est au niveau actuel de 5,50 % et, pendant ce temps, l’inflation a diminué de 1,6 point de pourcentage. Même si la Fed n’a apporté aucun ajustement, le taux d’intérêt réel (ajusté en fonction de l’inflation) continue d’augmenter (graphique 4). Il s’agit de l’un des meilleurs arguments pour que la Fed amorce son cycle de réduction des taux et procède par la suite de façon bien communiquée et constante. Autrement, elle risque d’avoir à réduire les taux à coup de 50 points de base ou plus, ce qui pourrait entraîner des perturbations, si la demande intérieure finit par fléchir sous le poids des taux. 

Nous prévoyons que le taux directeur atteindra 4,75 % d’ici la fin de l’année, et 3,00 % d’ici la fin de l’année prochaine. Il est important de noter que cette trajectoire nécessitera un changement d’orientation de la Fed, qui n’avait prévu qu’une seule baisse de taux cette année et quatre réductions de 25 pdb en 2025. C’est plus de 100 pdb de plus que ce que nous prévoyons à l’heure actuelle. 

Toutefois, la Fed n’a encore rien dévoilé qui, en fin de compte, orienterait les attentes du marché au cours du cycle de réduction des taux. Cela viendra le 18 septembre, lors de la réunion du Federal Open Market Committee (FOMC) où sera présenté le fameux graphique à points. Jusqu’à présent, seul le discours du président Powell à Jackson Hole nous a permis d’apprendre qu’il avait la ferme intention de réduire les taux et que le rythme sera dicté par les données. Essentiellement, il a laissé entendre qu’il était tout à fait disposé à accélérer le rythme des réductions si les fondamentaux de l’économie se détérioraient plus que prévu. 

La BdC a annoncé une trajectoire claire de baisse des taux

Les intentions de la Banque du Canada sont moins ambiguës. Compte tenu de la réduction de ses taux en juin et en juillet, nous pouvons établir une tendance de 25 pdb par réunion. La BdC a agi plus tôt que son homologue américaine, en raison des preuves l’ayant convaincue d’une hausse des capacités excédentaires de l’économie, qui a évité de justesse une récession technique en 2023. La situation devenait donc plus risquée pour les Canadiens très endettés. Environ 50 % des emprunteurs vont encore subir un choc lié au renouvellement de leur prêt hypothécaire au cours des deux prochaines années, même si la banque centrale devrait arriver à un taux neutre de 2,25 %. Cela s’explique par le fait que les prêts hypothécaires contractés en 2020 et en 2021 étaient assortis de taux d’intérêt historiquement bas, ce qui ne devrait pas se reproduire à moins d’une grave récession. 

En ce qui concerne l’inflation, nous soutenons que des réductions de taux d’intérêt sont justifiées depuis le début de 2024 en raison des paramètres fondamentaux de l’inflation. Au départ, nous estimions qu’il était préférable que le cycle d’assouplissement commence en avril. Ainsi, le Canada se retrouve en quelque sorte en mode rattrapage. La marge de capacités excédentaires au sein de l’économie est facile à constater dans l’inflation hors logement, qui se situe à 1,2 % sur 12 mois (c.-à-d., à la limite inférieure de la fourchette cible de la BdC). À mesure que l’année avance, la contribution de l’accroissement démographique aux dépenses de consommation diminuera, freinée par le gouvernement qui cherche à combler les lacunes de sa politique en établissant des seuils d’accueil et des conditions d’entrée plus sévères. Cela indique la voie à suivre pour que le cycle de baisse des taux se poursuive sans interruption, malgré les fluctuations habituelles de l’inflation. Nous estimons que le taux directeur actuel est de 125 à 225 pdb supérieur à ce qu’il devrait être en fonction de la conjoncture économique. Cela signifie que la BdC, à l’instar de la Fed, devra continuer à réduire les taux à chaque réunion, portant ainsi le taux directeur à 3,75 % d’ici la fin de l’année et à 2,50 % d’ici la fin de 2025

 

 

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