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Au Canada, la consommation ne dépend pas des ménages à revenu élevé

Maria Solovieva, CFA, économiste | 416-380-1195

date publiée: 23 octobre 2025

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Faits saillants

  • Au Canada, les dépenses des ménages demeurent plus équitablement réparties entre les groupes de revenu qu’aux États-Unis, où elles dépendent de plus en plus des ménages à revenu plus élevé.
  • La reprise des dépenses discrétionnaires a également été généralisée, ce qui donne à penser que la politique monétaire a joué un rôle plus important au Canada.
  • Cette distribution plus uniforme des dépenses réduit le risque de baisse en cas d’essoufflement des marchés boursiers, ce qui rend la croissance du Canada moins tributaire des ménages à revenu élevé que celle des États-Unis.
Le graphique 1 compare la répartition des dépenses totales des ménages en 2023 entre les différents groupes de revenu au Canada et aux États-Unis, selon le tableau Comptes économiques répartis pour le secteur des ménages de Statistique Canada et l’enquête sur les dépenses de consommation du Bureau of Labor Statistics des États-Unis. Au Canada, les 40 % de ménages au revenu le plus élevé représentaient 51 % des dépenses totales, contre près de 62 % aux États-Unis. Les 40 % de ménages au revenu le plus faible représentaient 29 % des dépenses totales au Canada, contre 21 % aux États-Unis, tandis que le groupe à revenu moyen représentait respectivement 20 % et 17 %.

Les cours boursiers historiquement élevés ont soulevé des interrogations à savoir si la vigueur récente des dépenses de consommation est stimulée ou non par un accroissement de la richesse au sein des ménages à revenu élevé. Les économistes appellent ce phénomène l’« effet de richesse ». Certains économistes américains ont récemment soutenu que la croissance des dépenses aux États-Unis repose aujourd’hui fortement sur les ménages aux revenus les plus élevés. Au Canada, en revanche, la vigueur récente des dépenses de consommation a été plus généralisée, s’étalant dans l’ensemble des groupes de revenu.

Pour poser le contexte, il convient de rappeler que chez nos voisins du Sud, les plus riches représentent depuis longtemps une part plus importante des dépenses personnelles. D’après une enquête sur les dépenses de consommation du Bureau of Labor Statistics, les 40 % de la population au revenu le plus élevé représentaient 61 % de l’ensemble des dépenses aux États-Unis en 2023, contre 51 % au Canada (graphique 1). Des estimations plus récentes des économistes de Moody’s indiquent que l’écart serait encore plus important1. En tirant parti des données sur les comptes financiers, les économistes de Moody’s calculent les dépenses personnelles, qui constituent une mesure plus large englobant implicitement l’équivalent loyer des propriétaires, les transferts sociaux en nature, les dons et les paiements d’intérêts non hypothécaires. Selon ce calcul, les 40 % des personnes qui gagnent le plus représentaient 80 % des dépenses aux États-Unis au deuxième trimestre de 2025. Autrement dit, la consommation aux États-Unis est de plus en plus stimulée par les ménages au revenu le plus élevé, et la croissance est soutenue par l’augmentation des prix des actifs.

La situation est différente au Canada. Le tableau Comptes économiques répartis pour le secteur des ménages du deuxième trimestre de 2025 de Statistique Canada montre une répartition des dépenses de consommation finale des ménages plus uniforme entre les groupes de revenu. Les 40 % des ménages au revenu le plus élevé représentaient 53 % des dépenses totales des ménages au deuxième trimestre de 2025. Plus semblable à la méthodologie de Moody’s, une mesure élargie de la consommation, qui comprend les services reçus en nature, mais exclut les paiements d’intérêts non hypothécaires et les dons, estime leur contribution à 49,2 %. La part du total des dépenses imputable aux groupes au revenu moyen et faible serait donc plus importante.

En outre, les deux pays présentent des différences notables en ce qui concerne la répartition de la richesse, qui impliquent un effet de richesse moins disparate au Canada. Aux États-Unis, la richesse demeure beaucoup plus concentrée : les 40 % les mieux nantis de la population détenaient environ 85 % de la richesse totale au deuxième trimestre de 2025, contre 66 % au Canada (graphique 2). Dans les deux pays, la croissance du patrimoine sur 12 mois a été plus substantielle chez les ménages à revenu élevé : les 40 % les plus riches ont vu leur richesse augmenter près de deux fois plus rapidement que les groupes à revenu faible et moyen. Aux États-Unis, cette concentration s’est répercutée sur la consommation, la croissance des dépenses du segment au revenu le plus élevé ayant surpassé celle des autres groupes, selon les estimations de Moody’s. En revanche, au Canada, une dynamique de richesse semblable n’a pas produit la même divergence comportementale : en dépit de l’accroissement plus rapide du patrimoine des mieux nantis, les dépenses ont augmenté à un rythme à peu près égal dans l’ensemble des groupes de revenu.

Lorsqu’on analyse de plus près les dépenses du Canada par catégorie, en isolant les dépenses discrétionnaires qui indiquent habituellement un effet de richesse, les données montrent toujours une répartition relativement égale des dépenses entre les différents groupes de revenu. Le graphique 3, qui illustre la croissance au deuxième trimestre pour les cinq dernières années, donne à penser que les dépenses ont été plus largement influencées par la politique monétaire que par les gains d’actifs. 

Le graphique 2 compare la répartition du patrimoine total des ménages au deuxième trimestre de 2025 entre les différents groupes de revenu au Canada et aux États-Unis, selon le tableau Comptes économiques répartis pour le secteur des ménages de Statistique Canada et la répartition des comptes financiers de la Réserve fédérale américaine. Au Canada, les 40 % de ménages au revenu le plus élevé représentaient 66 % de la richesse totale, contre 85 % aux États-Unis. Les 40 % de ménages au revenu le plus faible représentaient 20 % de la richesse totale au Canada, contre 7 % aux États-Unis, tandis que le groupe à revenu moyen en représentait 14 % et 8 %, respectivement. Le graphique 3 présente la variation en pourcentage sur 12 mois des dépenses discrétionnaires au deuxième trimestre, du deuxième trimestre de 2021 au deuxième trimestre de 2025. Les dépenses discrétionnaires sont définies comme les dépenses de consommation finale des ménages, en excluant la nourriture, les soins de santé, le logement et les communications. Au deuxième trimestre de 2021, la croissance des dépenses discrétionnaires a été fortement inégale entre les groupes de revenu, celle des 40 % de ménages au revenu le plus élevé surpassant celle des ménages à faible et à moyen revenu de 5 à 10 points de pourcentage. La croissance de la consommation s’est depuis uniformisée entre les groupes de revenu, les données de 2025 montrant une accélération comparable dans l’ensemble des groupes de revenu.

Voyons cela de plus près. Les dépenses discrétionnaires, qui dans notre ventilation comprennent également le transport et les services financiers (des catégories qui chevauchent les dépenses essentielles et cycliques), ont bondi en 2021 lorsque l’économie a rouvert et que les taux d’intérêt ont atteint des creux records. Les 40 % de ménages les plus riches ont enregistré une croissance dépassant d’environ 10 points de pourcentage celle des 40 % les moins fortunés. En 2022, cette croissance des dépenses discrétionnaires s’est grandement uniformisée, atteignant environ 20 % sur 12 mois. Elle est ensuite descendue sous la barre des 5 % en 2023-2024, en raison de la hausse des coûts d’emprunt. Cette baisse n’a pas uniquement concerné les ménages à faible revenu, le groupe des 40 % les plus riches ayant suivi la même tendance.

Le rebond de 2025 pourrait être en partie attribuable à un nouvel effet de richesse, mais le fait que les dépenses ont augmenté dans tous les groupes de revenu donne à penser que les répercussions décalées de la politique monétaire – et possiblement l’apaisement des tensions commerciales – ont joué un rôle au moins aussi important que les gains d’actifs. Un autre facteur courant stimulant les dépenses des ménages, soit la croissance des revenus, a probablement joué un rôle limité, car elle a ralenti dans tous les groupes par rapport à l’an dernier et n’a pas été plus marquée pour les groupes à revenu élevé.

Conclusion

La hausse des dépenses de consommation au Canada au deuxième trimestre a aidé à protéger l’économie contre le ralentissement causé par les tensions commerciales. Le tableau Comptes économiques répartis pour le secteur des ménages de Statistique Canada montre que les ménages de tous les groupes de revenu ont activement contribué à cette résilience, qu’elle ait été soutenue par la politique monétaire ou par un léger effet de richesse. 

L’accélération récente des dépenses discrétionnaires a également été généralisée, ce qui va à l’encontre de la théorie selon laquelle les ménages au revenu le plus élevé représentent une part plus élevée des dépenses, comme cela est le cas au sud de la frontière. Cette distribution plus égale des dépenses sous-entend un risque de baisse moindre en cas de fléchissement des marchés boursiers. Cela ne met pas les Canadiens entièrement à l’abri, car le ratio élevé d’amortissement de la dette reste contraignant, mais cela signifie que la croissance est moins tributaire des dépenses des ménages à revenu élevé qu’aux États-Unis. 

Notes de fin

  1. Estimates of Personal Savings, Personal Outlays and Excess Savings by Demographic Group, Moody’s, mars 2025. https://www.economy.com/getfile?q=8D6D0EAF-E677-4FDA-988D-60C0E9D34A8B&app=download.

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