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La belle province, le bel excédent:

Comment le Québec a apaisé sa féroce dette

Rishi Sondhi, économiste | 416-983-8806

date publiée: 30 juillet 2019

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Highlights

  • En seulement six exercices, le Québec a réduit le ratio de sa dette nette au PIB d’un niveau élevé de 51 % à environ 40 %. Le Québec est aussi la seule province à avoir abaissé le niveau réel de sa dette durant cette période, ce qui constitue une réalisation remarquable. 
  • Comment le Québec a-t-il réussi ce tour de force? La croissance économique soutenue et la hausse des revenus ont été nécessaires, mais n’ont pas suffi à elles seules à réduire le fardeau de la dette. Le plus gros du travail a été fait sur le plan des dépenses.
  • La retenue au chapitre des dépenses en immobilisations et la tendance à la baisse des dépenses de programmes ont en effet joué un rôle essentiel dans le retour des excédents budgétaires de la province, alors que des facteurs ponctuels et l’utilisation du Fonds des générations ont contribué à réduire la dette.
  • Ce revirement impressionnant a dégagé une marge de manœuvre pour des mesures de relance, tout en augmentant la confiance des investisseurs et, probablement, des entreprises. Cela devrait soutenir la croissance économique du Québec à l’avenir.
Chart 3: Quebec's net debt to GDP has sharply improved relative to Ontario's

Les temps ont bien changé. Durant l’exercice 2012-2013, le ratio de la dette nette au PIB du Québec s’établissait à 51 %, un niveau beaucoup plus élevé que pour les provinces. Si nous passons à l’exercice 2018-2019, le ratio de la dette nette au PIB du Québec se situait autour de 40 %, soit l’équivalent d’une réduction d’environ un cinquième. Bien que cela soit remarquable en soi, soulignons que durant l’exercice 2018-2019, le ratio de la dette nette au PIB du Québec a été inférieur à celui de l’Ontario pour la première fois depuis au moins le début des années 1990 (graphique 1). Fait tout aussi impressionnant, le Québec est la seule province à avoir abaissé le niveau absolu de sa dette nette depuis l’exercice 2012-2013 (graphique 2).

Il reste évidemment du travail à accomplir, car le ratio du Québec est encore élevé et la province n’a pas encore atteint son objectif de réduction de la dette (ratio de la dette brute au PIB de 45 % d’ici l’exercice 2025-2026). Hormis ces remarques, le travail accompli à ce jour par le Québec pour réduire le poids de sa dette est tout simplement remarquable. Les investisseurs et les agences de notation du crédit en ont certainement pris note, car depuis le début de 2018, les taux d’intérêt appliqués à la dette du Québec ont été constamment inférieurs à ceux payés par l’Ontario (graphique 3); de plus, S&P a révisé à la hausse la note de crédit du Québec en 2017. 

Chart 2: Quebec is the only province to have lowered its net debt in recent years Chart 3: Interest rates paid by Quebec on its debt are now lower than Ontario's

La réussite du Québec à amenuiser sa dette s’est révélée fructueuse, car elle lui a donné une marge de manœuvre pour lancer des mesures de relance modestes, en plus d’accroître la confiance des investisseurs et presque certainement, des entreprises. Cette évolution a aussi soutenu la croissance économique. De plus, les mesures prévues dans le dernier budget devraient stimuler davantage l’économie.

Quel est le secret du revirement budgétaire du Québec, notamment de la réduction importante du fardeau de la dette? Nous abordons de front cette question dans ce rapport. 

La croissance économique a été utile, sans toutefois constituer le principal facteur

Chart 4: Strong economic growth a recent development for Quebec

La variation du ratio de la dette nette au PIB d’un gouvernement s’explique par le changement dans chacun des trois éléments suivants : le solde des opérations courantes, les dépenses en immobilisations et bien sûr, le PIB même. Même si l’on peut analyser chaque élément séparément, il faut reconnaître qu’ils sont inextricablement liés. Par exemple, les changements du ratio revenu/PIB ont un effet déterminant sur les revenus d’exploitation. 

Dans certains cas de revirement budgétaire au Canada, la croissance économique était un catalyseur déterminant. Ainsi, au milieu des années 1990, le gouvernement fédéral a donné le coup d’envoi en annonçant un plan de réduction du déficit sur plusieurs années qui a ensuite été accompagné d’un boom de la croissance du PIB de l’ordre de 6 % par année durant la période 1998-2001. Les analystes attribuent un tel boom au cercle vertueux créé par la réduction du déficit d’exploitation découlant de la diminution du coût du service de la dette et de l’amélioration de la confiance. La bulle technologique, qui fut d’envergure mondiale, avait aussi joué un rôle important dans la stimulation du PIB et la hausse du revenu. 

À l’opposé, le Québec a bénéficié d’une croissance solide, mais pas spectaculaire de son économie durant cette expérience récente. L’économie du Québec a affiché une tenue vigoureuse en 2017 et en 2018, stimulée par la robustesse du marché de l’emploi, la faiblesse du dollar canadien, l’augmentation de la demande de logements et la force de l’économie américaine. Cependant, cette période a fait suite à plusieurs années de croissance comparativement modérée (graphique 4). En effet, de 2013 à 2018, le PIB nominal a progressé de 3,5 %, un taux à peine supérieur à la tendance sur 10 ans et conforme au rythme établi durant les six années précédentes, quand le ratio d’endettement avait grimpé de plus de 8 points. En observant ces tendances, il saute aux yeux que d’autres facteurs ont fait le gros du travail dans la réduction du fardeau de la dette. 

Dans la même veine, la croissance des revenus a été décente, mais pas excellente

Chart 5: Revenue growth up only slightly in recent years

Le Québec a enregistré une croissance conforme à la tendance des revenus (graphique 5), puisque de l’exercice 2013-2014 à l’exercice 2018-2019, l’ensemble des revenus perçus a affiché une croissance moyenne modérée de 4,3 %, à peine plus élevée que pendant les six exercices précédents. La part du PIB représentée par les revenus a augmenté de 1,2 point à 26,1 % durant cette période, là aussi une progression légèrement supérieure à celle de 0,9 point observée durant les six exercices précédents.

Une analyse détaillée révèle une accélération de la croissance des revenus autonomes (c.-à-d. impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés, taxes à la consommation) de 2013-2014 à 2018-2019. Cela s’explique en partie par les mesures que le gouvernement a prises pour protéger sa base de revenus, particulièrement au début quand la croissance économique était faible. Parmi les mesures prises par le gouvernement, mentionnons les efforts accrus de lutte contre l’évasion fiscale, l’augmentation des taxes sur les boissons alcoolisées et les produits du tabac ainsi que la hausse des taxes sur les institutions financières. Des mesures supplémentaires ont inclus l’arrêt des paiements sur les crédits de taxe sur les intrants et la réduction de l’aide fiscale offerte aux ménages et aux entreprises. Cette dernière mesure consistait à arrêter ou éliminer un allégement fiscal pour les sociétés adopté précédemment et à réduire considérablement des crédits d’impôt pour entreprises. Les ménages ont aussi subi des rajustements des subventions pour frais de garde d’enfants, entre autres. 

Même si les revenus autonomes ont constitué la part du lion des revenus perçus par le gouvernement provincial, les transferts du gouvernement fédéral représentent une source importante de financement, soit environ 20 % des revenus du Québec. De 2012-2013 à 2018-2019, la croissance des transferts fédéraux s’est établie en moyenne à 5 % par année, un rythme soutenu, mais inférieur à la croissance solide de 7 % affichée durant les six exercices précédents. 

Fonds des générations : affectation de revenus à la réduction de la dette

Témoignant de sa priorité de réduire le fardeau de la dette, le gouvernement a établi le Fonds des générations en 2006. Les revenus destinés au Fonds des générations, qui a été créé exclusivement pour réduire la dette de la province, proviennent principalement des redevances sur l’hydroélectricité (c.-à-d. Hydro-Québec) et d’une taxe sur les boissons alcoolisées. Ces revenus sont encaissés dans le Fonds, où ils fructifient au fil du temps et contrebalancent la dette dans la comptabilité du gouvernement. Même s’il existe un élément de risque à accumuler des revenus dans le Fonds plutôt qu’à les utiliser pour réduire la dette une année donnée, cette stratégie a permis au Québec d’engranger des revenus supplémentaires au moyen des rendements de placement qui serviront à faire des paiements sur la dette. 

Depuis sa création, 17 milliards de dollars de revenus ont été versés dans le Fonds et la totalité de ce montant est attribuée à la réduction de la dette nette de la province. Par exemple, depuis avril, le gouvernement de la CAQ a utilisé le Fonds pour retrancher 10 milliards de dollars à la dette brute de la province. 

Comme ces dépôts dans le Fonds des générations sont soustraits du solde budgétaire déclaré par le gouvernement, l’amélioration du solde des opérations courantes du gouvernement est plus marquée qu’à première vue. Depuis l’exercice 2012-2013, le gouvernement du Québec a déclaré un excédent budgétaire cumulatif de 5,7 milliards de dollars. Mais si on rajuste ce montant en tenant compte des dépôts dans le Fonds, l’excédent total s’élève à 17 milliards de dollars. 

Somme toute, la croissance soutenue des revenus a été un ingrédient nécessaire pour attaquer le problème de la dette de la province, mais n’a pas été suffisante à elle seule. Il y a lieu de souligner que le Québec a inversé la tendance de sa politique fiscale ces dernières années, tirant parti de l’amélioration de sa situation fiscale pour alléger l’impôt des ménages et des entreprises.

La réduction des dépenses, un facteur essentiel de diminution de la dette 

Chart 6:Spending restraint was key in returning Quebec to surplus

La croissance des dépenses de fonctionnement a légèrement ralenti depuis l’exercice 2013-2014 (graphique 6), sans toutefois être de l’ordre des coupures faites à l’aveugle. En effet, de l’exercice 2013-2014 à l’exercice 2018-2019, la croissance totale des dépenses a été de seulement 3 % en moyenne, nettement en deçà de la progression moyenne de 5 % durant les six exercices précédents. 

Ce ralentissement est attribuable en très grande partie aux dépenses de programmes que le gouvernement a maintenues à des niveaux particulièrement bas durant les trois exercices de 2014-2015 à 2016-2017. Pendant cette période, il a gardé la hausse des dépenses de programmes en moyenne à seulement 1,8 %, le taux le plus bas depuis la fin des années 1990, le maintenant à un minuscule 1,1 % durant l’exercice 2015-2016. 

Durant ces années de vaches maigres, la croissance des dépenses de programmes a été réduite dans tous les principaux secteurs, la baisse la plus marquée ayant touché les catégories autres que « santé/services sociaux » et « éducation/culture ». Le gouvernement a imposé une réduction particulièrement draconienne dans les catégories « administration et justice » et « soutien aux particuliers et aux familles ». En plus de réduire les dépenses des ministères, le gouvernement a pris plusieurs mesures pour freiner les dépenses, notamment le contrôle de la rémunération des employés du secteur public et des médecins ainsi que l’imposition d’un gel généralisé de la dotation en personnel.

La baisse du coût du service de la dette a aussi joué un rôle important dans la réduction des dépenses d’exploitation, car elles ont diminué de presque 2 % en moyenne depuis l’exercice 2013-2014. Fait encore plus révélateur, la part de l’intérêt (c.-à-d. le coût du service de la dette en pourcentage des revenus) a chuté d’un sommet de 11,4 % durant l’exercice 2013-2014 à 7,8 % l’année dernière. 

La réduction des dépenses en immobilisations et des facteurs « autres » ont aussi contribué

Chart 7: Slower program spending and investment helped lower debt and debt servicing charges

La politique de retenue ne visait pas seulement les dépenses d’exploitation, car le gouvernement a aussi mis un frein aux dépenses en immobilisations. En effet, le montant net des dépenses en immobilisations s’est replié de 3 % en moyenne de l’exercice 2013-2014 à l’exercice 2018-2019 (graphique 7). Les baisses ont toutefois été concentrées durant les quatre premiers exercices, et les décideurs gouvernementaux ont augmenté les dépenses en immobilisations ces deux dernières années, ce qui a coïncidé judicieusement avec la remontée de la croissance économique.

Le gouvernement est aussi parvenu à réduire sa dette nette au moyen d’opérations ponctuelles. Il a notamment transféré une dépense en immobilisations importante du gouvernement provincial aux autorités municipales. De plus, grâce à sa participation dans Hydro-Québec, le gouvernement provincial a pu réduire sa dette nette, parce que le bilan de cette société de services publics s’est amélioré durant la période de 2013-2014 à 2018-2019. Même si elles ne sont pas directement liées aux revenus, aux dépenses d’exploitation ou aux dépenses en immobilisations, ces opérations ont été importantes. De fait, elles ont contribué à retrancher environ 6 milliards de dollars de dette nette des livres du gouvernement des exercices 2013-2014 à 2018-2019. 

Récapitulatif

Plutôt qu’un facteur prépondérant, plusieurs éléments se sont conjugués pour aider le gouvernement du Québec à réduire son ratio dette/PIB. La croissance soutenue de l’économie et des revenus a certainement aidé, en partie parce qu’elle a diminué le besoin de hausser les dépenses contracycliques, même si une part plus importante de l’amélioration vient du côté des dépenses. La réduction des dépenses en immobilisations et la croissance sous-tendancielle des dépenses de programmes ont joué un rôle essentiel, alors que des facteurs ponctuels et l’utilisation du Fonds des générations ont aussi contribué. Cela a mis en place un cercle vertueux dans lequel le coût du service de la dette diminue, ce qui accroît la pression à la baisse sur le niveau de la dette. Pour l’avenir, il est encourageant de constater que le gouvernement planifie de garder le cap sur la réduction de la dette. En utilisant des hypothèses économiques raisonnables, le dernier budget provincial offre un allégement fiscal aux familles, des mesures visant à stimuler le potentiel productif de l’économie et une augmentation des dépenses dans les secteurs prioritaires. Au cours de l’exercice actuel, le ratio de la dette nette au PIB devrait en outre tomber sous les 40 %, son plus bas niveau depuis plus de 10 ans. Somme toute, la province n’a pas encore terrassé le dragon du déficit. Mais le gouvernement devrait être félicité pour sa détermination à continuer de diminuer le fardeau de sa dette. Ses efforts pourraient porter leurs fruits pendant des années.

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