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De mal en pis : le ralentissement de la productivité au Canada touche tout le monde

Beata Caranci, première vice-présidente et économiste en chef | 416-982-8067 
James Marple, vice-président associé et économiste principal | 416-982-2557

date publiée: 12 septembre, 2024

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Faits saillants

  • Si le Canada ne réalise pas de gains sur le plan de la productivité de la main-d’œuvre, il risque d’assister à une baisse continue du niveau de vie, à une aggravation de la stagnation des salaires et à une dangereuse détérioration des services publics.
  • La baisse prononcée de la productivité de la main-d’œuvre s’est manifestée dans la plupart des secteurs depuis la pandémie. 
  • Le secteur de la production de biens a connu la baisse la plus marquée. Après une décennie de performance supérieure en matière de productivité, le vent a tourné, la productivité affichant maintenant une baisse annuelle moyenne de 1,2 % depuis 2019. Plus de travailleurs du secteur des biens sont nécessaires pour parvenir au même niveau de production.
  • Parmi les secteurs, celui de la construction est le pire du lot, la productivité de la main-d’œuvre se situant près de son niveau le plus bas en 30 ans. 
  • Compte tenu de l’importance grandissante du secteur de la construction, le Canada restera à la traîne par rapport aux autres pays, en l’absence d’une plus grande adoption de l’innovation et d’une restructuration du secteur.
  • Le secteur des services au Canada a aussi ralenti, mais dans une moindre mesure. La plupart des grands secteurs accusent un grave retard par rapport aux États-Unis.
Chart 1 is a bar chart showing annual average growth in real output per hour worked (labour productivity) in Canada over four time periods: 1989 to 1999, 1999 to 2009, 2009 to 2019, and finally 2019 to 2023. Labour productivity in Canada grew by 1.6% annually in the decade from 1989 to 1999, 1.0% from 1999-2009, and 1.2% from 2009 to 2019. In the four years since the pandemic growth has fallen to 0.0%, a fact emphasized in the chart by a rapidly falling arrow.

Le mot « productivité » renvoie souvent une image négative de l’accomplissement d’un travail plus important avec moins de gens. Il est difficile pour les décideurs de promouvoir ce concept auprès des Canadiens, sans parler des sacrifices financiers à faire et des rajustements à apporter aux politiques pour trouver des solutions. Pourtant, une croissance saine de la productivité est la clé d’une société dynamique, prospère et résiliente. L’amélioration de la productivité stimule la croissance des salaires réels et est essentielle au maintien de services publics de qualité.

Par conséquent, le fait que la performance du Canada se soit considérablement détériorée depuis la pandémie devrait être une grande préoccupation pour tous les Canadiens, en particulier les jeunes générations. Le niveau de vie des Canadiens, mesuré par le PIB réel par personne, était plus bas en 2023 qu’en 2014. Sans une amélioration de la croissance de la productivité, les travailleurs feront face à une stagnation des salaires et les revenus du gouvernement ne suivront pas le rythme pour respecter les engagements en matière de dépenses, ce qui nécessitera une hausse des impôts ou une réduction des services publics.

De quels maux souffre le Canada? 

Au cours de la décennie précédant la pandémie, la productivité dans le secteur des entreprises a augmenté à un taux convenable de 1,2 % par année (graphique 1). Depuis 2019, elle a entièrement cessé de croître, faisant du Canada l’une des économies avancées les moins performantes, ce qui contraste vivement avec les États-Unis.

Nous aimerions pouvoir vous dire que seulement un secteur ou quelques secteurs sont à l’origine de cette situation. Toutefois, les problèmes sont généralisés. Par rapport à la croissance enregistrée au cours de la décennie précédant la pandémie, seuls quelques secteurs des services ont réussi à améliorer leur performance. Tous ceux qui travaillent dans les secteurs des biens ont ressenti la baisse la plus marquée, la productivité ayant reculé dans les années qui ont suivi la pandémie. Qu’est-ce que ça signifie? Pour parvenir au même niveau de production, les travailleurs doivent faire plus d’heures. Il est difficile de croire que cela pourrait se produire à l’ère du numérique.

Il y a un secteur au Canada que l’on montre du doigt plus que les autres : la construction. En raison de la taille croissante de ce secteur au sein de l’économie, la baisse de la productivité a été une source de faiblesse générale de plus en plus importante. 

La plupart des secteurs des services ont connu un ralentissement de la productivité depuis la pandémie, mais pas de manière aussi marquée. Néanmoins, comparativement aux États-Unis, des différences notables apparaissent entre les principaux secteurs des services.

Il n’existe pas de solution miracle pour régler les problèmes de productivité du Canada, car la mauvaise performance est devenue tellement répandue. Les solutions souvent citées sont intuitives, mais difficilement réalisables pour le Canada : favoriser la concurrence, conserver des travailleurs qualifiés, réduire les barrières au commerce et aux investissements (tant en interne qu’en externe) et améliorer les incitatifs à l’adoption des technologies. C’est le minimum nécessaire pour que les Canadiens ne deviennent pas les cousins pauvres au sein des pays du G7.

Toutefois, il faut mettre l’accent sur le secteur de la construction, en particulier dans le résidentiel. Ce segment est principalement composé de petites entreprises qui sont plus lentes que les grandes à adopter de nouvelles technologies. La productivité dans le secteur de la construction d’immeubles, qui compte la plus grande proportion de petites entreprises, a été la plus faible. Des stratégies ciblées pour s’attaquer aux contraintes à la croissance pourraient être bénéfiques. L’harmonisation des codes du bâtiment et des exigences en matière de permis entre les provinces pourrait contribuer à accroître la concurrence, tout en permettant de meilleurs rendements d’échelle dans l’ensemble du secteur.

Pour les secteurs des services, la dépendance accrue à l’égard des résidents non permanents semble avoir contribué à la détérioration de la productivité depuis la pandémie. Cela peut sembler illogique dans le contexte d’une main-d’œuvre vieillissante, mais la concentration de résidents non permanents occupant des emplois à bas salaire a détérioré la performance du Canada en matière de productivité1. Pour accroître la productivité dans les services, il faudra des politiques fiscales et réglementaires favorables qui visent à encourager des investissements plus importants et à accélérer l’adoption des technologies.

 Canada's Productivity Challenge: Understanding the Post-Pandemic Slump and How to Overcome It. What’s Behind Canada’s Productivity Slump? Canada is Getting Worse at Making Stuff

La productivité dans le secteur des biens a baissé depuis la pandémie

Chart 2 is a bar chart showing annual average growth in real output per hour worked (labour productivity) in the goods-producing and services producing sectors over two time periods: 2009-2019 and 2019 to 2023. Good-producing industries saw annual labour productivity growth of 1.4% in the decade prior to the pandemic (2009-2019) but have fallen by 1.2% in the years since (2019-2023). Services-producing industries have seen labour productivity growth slow from 1.2% annually in the decade prior to the pandemic to 0.6% in the years since.

L’économie canadienne repose principalement sur le secteur des services. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais cela en est un qui progresse de façon constante. L’envers de la médaille est qu’au cours des deux dernières décennies, l’activité combinée des secteurs des biens – agriculture, services publics, fabrication et construction – a reculé, passant d’un tiers à un quart de l’économie canadienne.

Toutefois, sur le plan de la productivité, le secteur des biens joue dans la cour des grands. La productivité de la main-d’œuvre est supérieure de plus de 30 % à celle du secteur des services. Les secteurs de l’exploitation minière, pétrolière et gazière, caractérisés par une intensité de capital relativement importante, et celui des services publics remportent les honneurs. En comparaison, les secteurs de la fabrication, de la construction et de l’agriculture affichent des niveaux beaucoup plus faibles de productivité.

Malheureusement, depuis le début de la pandémie, à l’exception de l’agriculture, de la foresterie, de la chasse et de la pêche, la croissance de la productivité dans les secteurs de la production de biens a non seulement ralenti, mais s’est complètement inversée (graphique 2). La croissance de la productivité, qui affichait une hausse annuelle de 1,4 % au cours de la décennie précédant la pandémie, a reculé de 1,2 % annuellement depuis. 

Par conséquent, le secteur des biens a pesé sur la croissance de la productivité générale du Canada chaque année depuis la pandémie, y retranchant en moyenne 0,4 point de pourcentage. Si le secteur avait simplement fait du surplace, le rythme de croissance du Canada aurait augmenté de 0,5 % par année. Bien que cette performance reste modeste par rapport aux cinq années précédentes, cela aurait été suffisant pour surpasser la zone euro.

La productivité dans le secteur de la construction est en baisse depuis des décennies

Chart 3 is a bar chart annual average growth in real output per hour worked (labour productivity) in five goods-producing sectors – agriculture, forestry, fishing, and hunting, mining and oil and gas extraction, utilities, manufacturing, and construction – over two time periods: 2009-2019 and 2019 to 2023. Agriculture experienced annual average productivity growth of 4.4% in the decade prior to the pandemic (2009-2019) but has slowed to 2.1% annually in the years since. Mining, oil and gas extraction experienced growth of 1.9% in the decade prior to pandemic but has contracted by 0.5% annually in the years since. Utilities experienced growth of 1.6% in the decade prior to the pandemic but has reversed at a rate of 2.2% annually in the years since. Manufacturing grew by 1.3% in the decade prior to the pandemic but has pulled back by 0.4% annually in the years since. Finally, construction, which grew by just 0.4% in the decade prior to the pandemic, has fallen by 2.6% annually in the years since the pandemic.

Le graphique 3 présente une décomposition du problème. Le secteur des services publics a connu une nette détérioration depuis la pandémie, mais ce n’est pas l’un des principaux sujets de préoccupation, car ce repli est largement attribuable aux températures records qui ont entraîné une baisse de la production d’hydroélectricité en 20232.

Les préoccupations sur le plan des secteurs concernent en premier celui de l’extraction minière, pétrolière et gazière, qui a enregistré de solides gains de productivité au cours de la décennie précédant la pandémie, mais qui a chuté de 0,5 % par année depuis. Bien qu’il soit difficile de mesurer la productivité dans ce secteur (voir l’encadré ci-dessous), il y a certaines caractéristiques qui sont propres au Canada. Les investissements dans ce secteur ont diminué en partie en raison de l’annulation de projets d’infrastructures clés comme l’oléoduc Keystone XL, mais aussi en raison de la réduction des investissements dans la foulée de la tarification du carbone et de la transition énergétique3. Bien qu’il s’agisse d’une transition nécessaire, la décarbonisation devrait encore peser sur les investissements dans ce secteur. Étant donné le niveau relativement élevé de la productivité de la main-d’œuvre, cela représente automatiquement un défi lié à la productivité pour le Canada au cours des prochaines années.

Le secteur manufacturier connaît la plus faible baisse par rapport à sa moyenne d’avant la pandémie, mais ici aussi, la productivité a basculé, passant de gains à des pertes, avec une chute particulièrement prononcée au cours de la dernière année.

Ensuite, il y a le secteur de la construction. De tous les secteurs de biens, c’est celui qui a connu la pire performance en matière de productivité. Il s’agit d’une tendance de longue date qui s’est aggravée et qui a fait encore plus mal au Canada en raison de la part grandissante de la construction au sein de l’activité économique.

Le secteur de la construction n’a généré aucune croissance de la productivité au cours des 40 dernières années! Le problème n’est pas propre au Canada; il s’agit d’un enjeu mondial. Par exemple, la croissance de la productivité dans le secteur de la construction aux États-Unis a été pire que celle du Canada au cours des 30 dernières années et a été à peine légèrement meilleure depuis la pandémie. Des études menées aux États-Unis ont montré que les ressources passent de régions à productivité accrue à des régions à productivité moindre, soit le contraire d’une allocation optimale des ressources. Le déclin de la productivité a coïncidé avec une augmentation des règles d’utilisation du sol, ce qui donne à penser que des facteurs non économiques ont joué un rôle central4,5.

Il en va de même au Canada. Par exemple, comme l’indique la SCHL, il existe des différences considérables en ce qui concerne la productivité dans le secteur de la construction résidentielle à l’échelle du pays, ce qui donne à penser que les différences au chapitre de la réglementation et des permis jouent un rôle dans la performance en matière de productivité6. Plus que les autres secteurs, celui de la construction est caractérisé par de très petites entreprises – 40 % d’entre elles comptent moins de 20 employés (graphique 4, page suivante). Il a été démontré que les petites entreprises ont un niveau plus faible de productivité et qu’elles sont plus lentes que les grandes à adopter de nouvelles technologies7. Elles font également face à un fardeau réglementaire plus important par rapport aux grandes entreprises, ce qui pèse lourdement sur la productivité8. Il existe plusieurs obstacles (dont les solutions sont à portée de mains) à la croissance dans le secteur de la construction, comme les codes du bâtiment et les exigences en matière de permis et de licences qui diffèrent d’une province à l’autre et qui font en sorte qu’il est difficile pour les entreprises d’exercer leurs activités dans l’ensemble des territoires. L’absence de normalisation est un autre défi qui rend l’innovation à plus grande échelle plus difficile à appliquer dans l’ensemble du secteur.

L’importance du secteur de la construction augmente

Chart 4 is a bar chart showing the percent of total firms operating in Canada by the number of employees for the private sector and for the construction industry in 2023. It shows that the private sector has a larger share of firms with 500 and more workers (33% of the total) compared to the construction sector (13% of the total). The construction sector has a larger share of firms with a small number of employees. For example, 15% of construction firms have 0 to 4 employees (8% for private industry), 26% have 5-19 employees (16% for private industry), 17% have 20-49 employees (14% for private industry). For firms with employees from 40 to 499 the numbers are relatively similar between construction and the private sector. Chart 5 is a line chart running from 1990 through 2023 that shows the share of total business sector hours worked by the construction sector and the manufacturing sector. It shows a steady downward movement in the share of hours in manufacturing, which has fallen from over 20% of total hours in 1990 to 12% in 2023. The biggest declines came over the first half of the 2000s. In the construction sector the share of hours fell slightly in the early 1990s but has marched higher since, rising from 10% in 1990 to just under 13% in 2023.

Malheureusement, la piètre performance du secteur de la construction est un facteur de plus en plus important à prendre en compte au chapitre de la productivité générale du Canada, car cela représente une part de plus en plus importante dans l’économie comparativement à d’autres pays (graphique 5). En 2023, le secteur de la construction représentait 12,6 % de toutes les heures travaillées au Canada, contre 8 % en 1997. Si on se limite au secteur de la production de biens, les heures travaillées dans le secteur de la construction dépassent maintenant celles du secteur de la fabrication, soit presque le double, passant de 23 % en 1997 à 42 % aujourd’hui.

Maintenant, si l’on considère le transfert croissant des ressources vers les activités du secteur de la construction plutôt que vers d’autres secteurs, l’impact sur la productivité totale au Canada s’intensifie. L’ajout de cet « effet de réaffectation » à l’« effet au sein des secteurs » décrit ci-dessus révèle que le secteur de la construction a pesé sur la croissance annuelle de la productivité depuis la pandémie, retranchant 0,5 point de pourcentage. La construction est à l’origine d’une grande partie de la baisse de la productivité générale du Canada par rapport à la période avant la pandémie.

De plus, le problème s’aggrave lorsqu’on regarde vers l’avenir. Il est peu probable que le secteur de la construction prenne moins d’importance pendant les cinq prochaines années ou plus. Le Canada est aux prises avec un déficit de logements, ce qui donne à penser qu’il faudra consacrer plus de ressources à ce secteur. Dans son récent Rapport sur la politique monétaire, la Banque du Canada a revu à la baisse ses prévisions de la productivité générale du Canada au cours des deux prochaines années en invoquant « des contraintes structurelles liées à la construction de logements, comme la disponibilité des terrains, les restrictions de zonage et le manque de travailleurs qualifiés »9.

L’importance croissante du secteur de la construction accroît l’urgence d’améliorer la productivité dans ce secteur. Pour ce faire, toutefois, il faut adopter une approche plus novatrice, notamment en se tournant vers des bâtiments préfabriqués ou modulaires, en assurant le recyclage professionnel de la main-d’œuvre autour de ceux-ci, et repenser le code du bâtiment pour permettre une plus grande souplesse dans les sources de matériaux utilisés qui permettent de maintenir les mêmes résultats en matière de sécurité et de durabilité. Il existe des exemples dans d’autres pays, comme la Suède, où les bâtiments modulaires ont une forte présence.10

Le cas mystérieux de la productivité dans le secteur du pétrole et du gaz au Canada

Le secteur canadien du pétrole et du gaz est l’un des plus productifs de l’économie canadienne et ses salaires sont parmi les plus élevés. En raison de sa productivité supérieure à celle du reste de l’économie, le secteur a joué un rôle prépondérant dans l’amélioration de la productivité au Canada. Malgré les fluctuations de la croissance de la productivité du travail dans le secteur depuis plusieurs décennies, il affichait une reprise encourageante au cours des années précédant la pandémie11. Néanmoins, la réduction des heures de travail dans le secteur a considérablement pesé sur la croissance de la productivité globale du travail.
Chart 6 is a scatter-point chart that shows multifactor productivity indexed to equal 100 in 2017 on the vertical access and the WTI benchmark price in Canadian dollars per barrel on the horizontal access. The data for the chart run from 1990 to 2020. Over this thirty year period there is a noticeable negative relationship between the two variables. Higher oil prices are associated with lower levels of multifactor productivity, while lower oil prices are associated with higher levels of multifactor productivity.

Sous la surface, les choses sont encore plus compliquées. La productivité du travail repose sur le capital par travailleur, les compétences de ces travailleurs et la technologie, qui détermine comment les intrants (capital et main-d’œuvre) sont convertis en production (ce qu’on appelle la « productivité multifactorielle », ou PMF). Normalement, pour stimuler la croissance de la productivité, il suffit d’augmenter le capital et les compétences des travailleurs ou de stimuler l’innovation (croissance de la PMF). 

Mais en réalité, dans le secteur du pétrole et du gaz, la corrélation entre le capital ajouté et la croissance induite par l’innovation semble contre-intuitive. Bien que le secteur ait constamment augmenté le capital par travailleur, la PMF a dans l’ensemble diminué au cours des 50 dernières années. Comment cela est-il possible dans un secteur qui a été le théâtre d’une innovation constante, des débuts du drainage par gravité au moyen de la vapeur utilisé pour la mise en valeur des sables bitumineux aux récentes technologies des champs pétrolifères numériques? 

Cela s’explique premièrement par le fait que les statistiques sur la productivité ne tiennent pas compte du prix de cette ressource non renouvelable. L’augmentation du prix du pétrole a poussé les sociétés à investir davantage dans des gisements de pétrole dont l’exploitation difficile nécessite plus de capital humain et financier. Cela est illustré par la corrélation inverse entre les prix du pétrole et la PMF (graphique 6).

Deuxièmement, les statistiques sur la productivité ne tiennent pas compte de la nature non renouvelable de cette ressource. Même sans l’effet du prix, l’épuisement des gisements plus facilement exploitables mène à l’augmentation des dépenses en main-d’œuvre et en capital. Cela contribue à la sous-estimation statistique de la croissance de la PMF12.

Pour finir, le secteur doit de plus en plus composer avec la nécessité de réduire son empreinte carbone. Cela nécessite à la fois des investissements et de l’innovation – pour le captage et le stockage du carbone, par exemple – qui n’augmentent pas nécessairement la production dans le secteur. 

Il faut donc interpréter avec prudence toute faiblesse de la PMF dans le secteur du pétrole et du gaz, ainsi que ses effets négatifs sur la croissance de la productivité au Canada. C’est sur la productivité du travail qu’il faut se concentrer.

Quelques secteurs des services ont connu une croissance plus rapide de leur productivité depuis la pandémie

Les nouvelles ne sont pas que mauvaises. Quelques secteurs se démarquent, affichant une amélioration de la croissance de la productivité depuis la pandémie. Parmi ces secteurs, mentionnons le commerce de gros et de détail, l’industrie de l’information et l’industrie de la culture, les services d’hébergement et de restauration, ainsi que les services immobiliers et services de location et de location à bail. Bon nombre de ces secteurs ont été les plus durement touchés par la pandémie, comptant le plus de perturbations de l’emploi, ce qui renforce la conviction que la croissance de la productivité va de pair avec une main-d’œuvre réduite. En 2023, le nombre d’heures travaillées dans le commerce de détail ainsi que les services immobiliers et les services de location et de location à bail était encore inférieur à celui de 2019.

Chart 7 is a scatter-point chart that shows annual average growth in labour productivity from 2019 to 2023 on the vertical access and annual average growth in real compensation per hour over the same period on the horizontal access. Over this period there is a positive relationship between the two variables. Industries with higher annual labour productivity growth have tended to see faster growth in real compensation per hour.

Toutefois, comme par le passé, les gains de productivité se traduisent par une augmentation de la rémunération de ces travailleurs. Depuis la pandémie, la rémunération horaire réelle (ajustée pour tenir compte de l’inflation) a augmenté plus rapidement dans les secteurs affichant une plus grande croissance de la productivité. Les secteurs des services ont enregistré une croissance annuelle moyenne de la rémunération réelle de 1,8 %, comparativement à 1,0 % pour les secteurs des biens. Les secteurs enregistrant la plus importante croissance de la productivité ont connu la plus importante croissance des salaires (graphique 7). L’industrie de l’information et l’industrie de la culture ont enregistré une croissance réelle de 2,1 % par année et les services d’hébergement et de restauration ne sont pas loin derrière, à 2 %13.

Il est trop tôt pour dire si le choc de la pandémie a entraîné des changements plus permanents dans ces secteurs. Certaines des améliorations de la productivité pourraient refléter les tendances en matière d’automatisation et de numérisation depuis la pandémie. Cela fait espérer qu’à mesure que les technologies numériques et l’intelligence artificielle (IA) seront adoptées à plus grande échelle, la croissance de la productivité pourrait s’accélérer. Comme nous l’avons soutenu (voir le rapport), le Canada possède une part importante de main-d’œuvre hautement qualifiée qui pourrait tirer parti d’une amélioration considérable de la productivité en raison de l’IA.

Le Canada accuse un retard par rapport aux États-Unis dans la plupart des secteurs, en particulier les services

 Canada has consistently lagged in high-tech service sectors. Information & Cultural Industries (Including Telecommunications): U.S. productivity grew over 4X faster than Canada in the decade prior to the pandemic and over 3X in the years since. Professional, Scientific & Technical Services: U.S. productivity grew 2X faster than Canada in the decade prior to the pandemic, but nearly 10X in the years since!

C’est de là que doit venir le gros du travail. Le Canada accuse un retard par rapport aux États-Unis en matière de croissance de la productivité depuis plusieurs décennies, mais la situation s’est aggravée depuis la pandémie. Depuis, les États-Unis ont enregistré une croissance de la productivité dans le secteur des entreprises de 1,6 % par année, tandis que le Canada n’a enregistré aucune croissance. De 2019 à 2022 (les dernières données détaillées par secteur disponibles pour les États-Unis), les États-Unis ont surpassé le Canada dans la plupart des grands secteurs.
La productivité aux États-Unis a été particulièrement forte dans le commerce de détail, l’industrie de l’information et l’industrie de la culture (y compris les télécommunications), les services professionnels, scientifiques et techniques, ainsi que les services d’hébergement et de restauration. Bien que bon nombre de ces secteurs aient dominé au tableau de la croissance de la productivité au Canada dernièrement, ils ont constamment accusé un retard considérable par rapport aux États-Unis au cours des 20 dernières années. 

C’est dans les services professionnels, scientifiques et techniques, ainsi que dans les services d’hébergement et de restauration que les écarts ont été les plus importants entre les pays. Les États-Unis ont enregistré une croissance accélérée et robuste de 3,8 % dans le premier secteur et de 3,9 % dans le second, de 2019 à 2022. En revanche, la croissance de la productivité dans le secteur canadien des services professionnels a ralenti par rapport à la moyenne d’avant la pandémie. La croissance de la productivité s’est améliorée dans le commerce de détail, mais dans une mesure nettement moindre qu’aux États-Unis.

Certains de ces défis constituent des enjeux de longue date. Le Canada a été à la traîne en matière d’adoption des technologies de l’information et des communications (TIC), et une croissance nettement inférieure dans ce secteur explique en grande partie l’écart grandissant entre la productivité des États-Unis et du Canada au cours des 20 années précédant la pandémie. 

En fait, il n’y a qu’un seul secteur qui a constamment surpassé son homologue américain au cours de la dernière décennie et pendant la pandémie, soit finance et assurances, services immobiliers et services de location et de location à bail. Au cours de la décennie précédant la pandémie, la productivité de la main-d’œuvre dans ce secteur a augmenté de 2,2 % par année au Canada, comparativement à 1,0 % aux États-Unis. Depuis la pandémie, l’écart a augmenté, la croissance étant de 3,2 % au Canada et de 0,4 % seulement aux États-Unis. La production du secteur des services financiers aux États-Unis a été touchée dans une mesure beaucoup plus grande par la crise financière mondiale, mais cela n’explique pas la performance supérieure plus récente du Canada. Une partie de cela pourrait refléter le rattrapage du retard de croissance, comme le secteur américain affiche des niveaux de productivité de la main-d’œuvre plus élevés que le Canada. Bien que des données comparables sur les détails entre les deux pays ne soient disponibles que jusqu’en 2020, au cours des cinq années précédant la pandémie, les secteurs des deux pays ont connu une contribution semblable de la croissance du capital par travailleur alimentée par l’investissement, mais le secteur canadien a connu une croissance relativement plus rapide de la productivité multifactorielle (« PMF »)

U.S. productivity accelerated in sectors hard hit by the pandemic: Neither Canada nor the U.S. experienced much productivity growth in the accommodation and food sector but the U.S. accelerated rapidly post-pandemic, while Canada remained moribund.
 Canada's advantage in financial service productivity has remained in place through the post-pandemic period: The U.S. finance sector was hard hit by the Global Financial Crisis, but Canada's outperformance has remained in place

Maintien d’un régime fiscal concurrentiel

Un régime fiscal concurrentiel à l’échelle internationale contribue de façon importante aux investissements et à la productivité. Le Canada a déployé un effort concerté pour réduire les taux d’imposition des sociétés au début des années 2000 et affichait des taux d’imposition des sociétés inférieurs à ceux des pays comparables tout au long de la décennie qui a précédé la pandémie. Toutefois, cet avantage s’est érodé considérablement ces dernières années, à mesure que d’autres pays ont abaissé leurs taux d’imposition. Par exemple, la loi américaine Tax Cuts and Jobs Act de 2018 a réduit le taux d’imposition des sociétés américaines de 14 points de pourcentage, le faisant passer de 35 % à 21 %. Plusieurs pays européens ont aussi réduit leurs taux d’imposition durant cette période. En raison de ces changements à l’étranger, le taux d’imposition moyen au Canada est maintenant à peu près égal à celui des États-Unis et des pays de l’OCDE, mais supérieur à celui de l’Europe. Un taux d’imposition comparable à celui des États-Unis ne suffira probablement pas à faire contrepoids aux forces inhérentes de ce pays qui attirent des investissements et des talents. Le Canada doit chercher à faire mieux pour égaliser les chances.

La rentabilité des nouveaux investissements est aussi influencée par une foule d’autres mesures qui interagissent avec le régime fiscal, y compris les intérêts, la dépréciation, le coût des stocks, les frais et d’autres déductions. Le taux effectif marginal d’imposition (TEMI) est une mesure qui tient compte de ces facteurs14. Le TEMI du Canada a été temporairement inférieur à celui des autres pays comparables grâce à des mesures d’amortissement accéléré adoptées en 2019, qui ont permis de déduire entièrement de l’impôt les investissements dans le matériel et la machinerie de fabrication et de transformation. Toutefois, la déduction était temporaire et devrait être entièrement éliminée d’ici 2028. À mesure que cette mesure temporaire prendra fin, le TEMI du Canada augmentera considérablement, ce qui fera grimper le coût des nouveaux investissements et pèsera sur la croissance de la productivité15.

Certains se demandent peut-être si ces crédits d’impôt ont été efficaces, compte tenu de la détérioration du contexte d’investissement et de productivité au Canada au cours des dernières années. En revanche, il faut considérer que l’élan de ces investissements au Canada aurait été fortement amoindri en l’absence de cette mesure. Mettre fin à cette mesure irait à l’encontre du principe de ne pas nuire, réduisant la compétitivité du Canada durant une période où les difficultés sont si importantes. De plus, les mesures comme le TEMI n’incluent pas les règlements ou les dispositions du code des impôts qui favorisent certains secteurs par rapport à d’autres. En outre, il a été démontré que l’abolition de telles mesures nuit aux signaux des marchés, plombe la productivité et réduit la compétitivité.16

En conclusion

Depuis la pandémie, la productivité au Canada est allée de mal en pis. La productivité de la main-d’œuvre a été temporairement et artificiellement stimulée par les confinements imposés en raison de la pandémie au début de 2020, lorsque les heures ont été réduites plus que l’activité économique générale. Toutefois, au cours des trois années qui ont suivi, la productivité a baissé chaque année, situation qui s’est aggravée en 2023 par rapport à 2022. La baisse pure et simple de la productivité dans le secteur des biens explique en grande partie la croissance moribonde de la productivité au Canada. Bien que le secteur des services ait ralenti plus modérément, il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. Cela contraste fortement avec l’amélioration de la performance aux États-Unis. 

Pour régler le problème de la productivité du Canada, la mise en œuvre de stratégies exhaustives sera nécessaire, notamment la promotion de la concurrence, la stimulation de l’adoption des technologies, la réduction des barrières à la croissance à l’échelle des territoires et la mise en œuvre de réglementations mieux pensées. À tout le moins, le gouvernement devrait se concentrer sur le fait de ne pas causer de préjudices et le maintien de mesures incitatives pour encourager l’investissement en capital. L’expiration de la disposition d’amortissement accéléré (voir l’encadré ci-dessus) est un pas dans la mauvaise direction, augmentant le coût des nouveaux investissements. Une réforme plus large du code des impôts pour réduire le coût des nouveaux investissements devrait être une priorité stratégique. Il est particulièrement urgent de mettre l’accent sur l’amélioration de la productivité dans le secteur de la construction en raison de son importance économique croissante. Si le Canada ne cherche pas à réaliser des gains sur le plan de la productivité de la main-d’œuvre, il risque d’assister à une baisse continue du niveau de vie, à une aggravation de la stagnation des salaires et à une dangereuse détérioration des services publics.  

Notes

  1. Smith, Philip. Accounting for the Decline of Canada’s Real GDP per Capita Since Mid-2022. International Productivity Monitor, Centre d’étude des niveaux de vie, printemps 2024. Disponible à l’adresse : http://www.csls.ca/ipm/46/IPM_46_Smith.pdf
  2. Statistique Canada. « La production hydroélectrique se tarit en raison de faibles précipitations et de températures élevées sans précédent : Électricité – Bilan de l’année 2023. » 5 mars 2024. Disponible à l’adresse : https://www.statcan.gc.ca/o1/fr/plus/5776-la-production-hydroelectrique-se-tarit-en-raison-de-faibles-precipitations-et-de
  3. Wang, W., « L’industrie du pétrole et du gaz au Canada : bilan un an après le début de la pandémie. » Rapports économiques et sociaux. Vol. 1, no 7. Statistique Canada. 28 juillet 2021. Disponible à l’adresse : https://www150.statcan.gc.ca/pub/36-28-0001/2021007/article/00003-fra.pdf
  4. Goolsbee, Austan et Chad Syverson,, « The Strange and Awful Path of Productivity in the U.S. Construction Sector. » NBER Working Paper 30845, National Bureau of Economic Research, janvier 2023. Disponible à l’adresse : https://www.nber.org/system/files/chapters/c14735/c14735.pdf 
  5. D’Amico, Leonardo, avec Edward L. Glaeser, Joseph Gyourko, William R. Kerr et Giacomo A.M. Ponzetto, « Why Has Construction Productivity Stagnated? The Role of Land-Use Regulation. » 30 décembre 2023. Disponible à l’adresse : https://ssrn.com/abstract=4679195 ou http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.4679195
  6. Laberge, Mathieu. « Quelle est la capacité potentielle de construction de logements au Canada? » Carnet Web. L’observateur du logement (blogue) (16 mai 2024). Disponible à l’adresse : https://www.cmhc-schl.gc.ca/lobservateur-du-logement/2024/quelle-est-capacite-potentielle-construction-logements-canada
  7. Baldwin, John R., Danny Leung et Luke Rispoli. « Écart entre la productivité du travail au Canada et aux États-Unis selon les catégories de taille d’entreprise. » La revue canadienne de productivité. No 15-206-X au catalogue, no 033. 10 mars 2014. Disponible à l’adresse : https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/15-206-x/15-206-x2014033-fra.pdf?st=U1E5qm3m
  8. Tu, Jiong. « L’incidence du coût de la conformité à la réglementation sur le rendement des entreprises ». Innovation, Sciences et Développement économique Canada. 2020. Disponible à l’adresse : https://ised-isde.canada.ca/site/initiative-allegement-fardeau-paperasserie/fr/enquete-cout-mise-conformite-reglementation/lincidence-cout-conformite-reglementation-rendement-entreprises-octobre-2020
  9. Banque du Canada. Rapport sur la politique monétaire – Juillet 2024. Banque du Canada, 24 juillet 2024. Disponible à l’adresse : https://www.banqueducanada.ca/wp-content/uploads/2024/07/rpm-2024-07-24.pdf
  10. Anderson, Christina. « How an American Dream of Housing Became a Reality in Sweden. » New York Times, 8 juin 2024. Disponible à l’adresse : https://www.nytimes.com/2024/06/08/headway/how-an-american-dream-of-housing-became-a-reality-in-sweden.html
  11. En raison de la productivité supérieure à celle du reste de l’économie, les mouvements de ressources à l’intérieur et à l’extérieur du secteur peuvent jouer un rôle prépondérant dans l’amélioration de la productivité au Canada. Au cours des cinq années précédant la pandémie, la baisse de la production et des heures dans le secteur du pétrole et du gaz a été l’un des principaux facteurs qui ont nui à la productivité du Canada.
  12. Gordon, Stephen. « What Explains the Weak Growth in Total Factor Productivity in Non-Renewable Resource Extraction Industries? » Carnet Web. Worthwhile Canadian Initiative (blogue) (26 juin 2024). Disponible à l’adresse : https://worthwhile.typepad.com/worthwhile_canadian_initi/2024/06/tfp.html
  13. Sans croissance de la productivité, les hausses des salaires sous-entendent une diminution de la compétitivité relative. Il s’agit d’un défi particulier pour les secteurs axés sur l’exportation. En raison de la faible croissance de la productivité, le coût de la main-d’œuvre par rapport à la production a augmenté plus rapidement au Canada qu’aux États-Unis, ce qui fait en sorte qu’il est plus difficile pour les entreprises canadiennes de soutenir la concurrence au taux de change en vigueur.
  14. Bazel, Philip et Jack Mintz. 2020 Tax Competitiveness Report: Canada’s Investment Challenge. The School of Public Policy, Université de Calgary, septembre 2021. Disponible à l’adresse : https://www.policyschool.ca/wp-content/uploads/2021/09/FMK2_2020-Tax-Competitiveness_Bazel_Mintz.pdf
  15. Ibid.
  16. Farhi, Emmanuel et David Baqaee. The Impact of Firm Misallocation on Aggregate Productivity: A Quantitative Analysis. Université Harvard, 2020. Disponible à l’adresse : https://scholar.harvard.edu/files/farhi/files/misallocation_main.pdf

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