Faits saillants
- Le plan d’immigration récemment publié par le gouvernement fédéral – qui prévoit à la fois une diminution importante du nombre de résidents non permanents et une réduction des cibles d’immigration permanente – freinera la croissance démographique du Canada après une poussée historique.
- Le ralentissement abrupt de la population aura nécessairement des répercussions sur l’économie canadienne, mais l’impact global devrait être moins important que certains l’appréhendaient.
- Nous nous attendons à ce que le nouveau plan freine les dépenses de consommation totales et l’offre de main-d’œuvre. Toutefois, ces effets devraient être atténués par un certain nombre de facteurs, notamment la diminution des pressions à la hausse sur les loyers, la baisse des taux d’intérêt et l’augmentation des dépenses par habitant. De plus, une offre réduite d’immigrants temporaires à faible salaire devrait inciter les entreprises à investir davantage.
Le gouvernement fédéral a décidé de marquer une pause dans la croissance de la population canadienne en forte expansion. Les réductions prévues du nombre de résidents non permanents (RNP) et des cibles annuelles d’immigration permanente devraient faire stagner la croissance démographique du pays au cours des deux prochaines années. Ce ralentissement abrupt aura des répercussions sur l’économie, mais ces dernières ne seront pas aussi importantes que certains l’appréhendaient. Cette période pourrait offrir un répit aux secteurs clés qui n’ont pas pu suivre le rythme, comme le secteur du logement. De plus, les entreprises pourraient être incitées à investir davantage et à moins se fier aux immigrants temporaires à faible salaire.
Détails du plan d’immigration
Le Plan des niveaux d’immigration 2025-2027 (le Plan) a établi des cibles d’admissions pour les résidents permanents (RP) et les résidents non permanents (RNP). La décision de réduire le nombre d’admissions prévues de RP aura été la plus grande surprise de ce Plan. La mise à jour de cette année représente une baisse d’environ le quart (tableau 1) par rapport à la cible de l’an dernier (500 000 par année en 2025 et en 2026). Malgré tout, les flux nets de RP resteront plus élevés qu’au cours des années ayant précédé la pandémie (graphique 1).
Tableau 1 : Cibles de résidents permanents (en milliers)
2024 | 2025 | 2026 | 2027 | |
2024-2026 Plan | 485 | 500 | 500 | |
2025-2027 Plan | 395 | 380 | 365 |
Avant de publier son plan, le gouvernement avait ouvert son jeu au sujet de la population de RNP, car il s’était donné pour objectif de réduire à 5 % leur proportion de la population totale d’ici la fin de 2026 (contre plus de 7 % actuellement). Pour la première fois, le plan d’immigration comporte des cibles fermes pour les différentes catégories de RNP, ce qui permet de mieux comprendre comment l’objectif de 5 % sera atteint (tableau 2). Les changements à cet égard sont particulièrement importants, étant donné que la poussée démographique des deux dernières années a été causée en bonne partie par un afflux incontrôlé d’étudiants internationaux et de travailleurs étrangers temporaires (TET).
Au sein du groupe des RNP, on s’attend à une diminution significative du nombre de travailleurs en raison de la réduction importante des permis de travail accordés dans le cadre du Programme de mobilité internationale (PMI). Les détenteurs de visa du PMI comptent pour environ 40 % du nombre total de RNP. De plus, le nombre de permis délivrés dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) devrait demeurer stable à 82 000 par année pour les trois prochaines années. Pour ce faire, le gouvernement a introduit un plafond de 10 % pour les employeurs embauchant des travailleurs dans le volet des postes à bas salaire et a récemment annoncé une hausse de 20 % du salaire horaire de départ pour les travailleurs étrangers temporaires dans le volet des postes à haut salaire afin de favoriser l’embauche de travailleurs canadiens. Il convient de noter que bon nombre des changements apportés aux politiques régissant les TET représentent un retour aux normes qui s’appliquaient avant la pandémie. Par ailleurs, le nombre d’étudiants internationaux est plafonné à un peu moins de 310 000 pour les trois prochaines années, et des plafonds de traitement des demandes sont attribués aux provinces au prorata de leur population.
Tableau 2 : Cibles de résidents non permanents
2025 | 2026 | 2027 | |
Total | 673,650 | 516,600 | 543,600 |
Travailleurs (total) | 367,750 | 210,700 | 237,700 |
Programme de mobilité internationale (PMI) | 285,750 | 128,700 | 155,700 |
Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) | 82,000 | 82,000 | 82,000 |
Étudiants | 305,900 | 305,900 | 305,900 |
Pause dans la croissance de la population
Tout bien considéré, la croissance de la population ralentira fortement. Les projections du gouvernement fédéral font état d’une croissance démographique légèrement négative (-0,2 %) au cours des deux prochaines années, qui reviendra en territoire positif en 2027 (0,8 %). C’est un fait notable, car la population canadienne n’a jamais véritablement diminué sur une base annuelle moyenne. Nous avons réduit considérablement notre prévision démographique, bien que nous estimions possible que celle du gouvernement fédéral soit quelque peu relevée. Néanmoins, nous prévoyons une croissance de la population inférieure à la moyenne historique entre 2025 et 2027 (graphique 2).
Compte tenu du temps qu’il faudra pour mettre en œuvre les réformes et de la complexité du système d’immigration, il sera difficile d’atteindre la cible de 5 % de RNP. Pour mettre les choses en perspective, cela représente des sorties nettes de près d’un million de RNP (soit environ 110 000 par trimestre). Pour ce qui est de la composition des flux de RNP, les données récentes montrent déjà un ralentissement chez les étudiants internationaux. La proportion des TET et des autres RNP possédant un permis devrait quant à elle commencer à diminuer d’ici le premier trimestre de 2025 (graphique 3).
Les changements apportés au Plan entraîneront d’importantes fluctuations annuelles dans la population par rapport au statu quo, qui sont davantage mises en perspective dans le graphique 4. Selon la trajectoire prévue, la population réussit à se maintenir au-dessus de sa tendance prépandémie. Par conséquent, nous considérons que ces changements représentent davantage un rééquilibrage.
Quel effet cela aura-t-il sur l’économie?
Passer d’un taux de croissance annuel de la population de 3 % à un taux de croissance nul entraînera inévitablement certains ajustements négatifs à court terme pour l’économie. Plus particulièrement, les nouvelles cibles pèseront sur l’offre de main-d’œuvre. À long terme, la vigueur d’une économie repose sur la croissance de sa main-d’œuvre et la productivité de ses travailleurs. Au cours des dernières années, le Canada a principalement compté sur la croissance de la main-d’œuvre alimentée par la population, qui a culminé à un rythme annuel de 3,0 % en 2023 alors que la population était en forte hausse. En même temps, la productivité a diminué pour une troisième année de suite. Ces facteurs ont entraîné une croissance du PIB inférieure à la tendance et une baisse du niveau de vie des Canadiens. De plus, le taux de chômage est passé d’un creux de 4,8 % à 6,5 % au cours des deux dernières années, les entreprises n’arrivant pas à absorber la vague démographique. En effet, une grande partie de l’augmentation du chômage est attribuable aux nouveaux arrivants, comme en témoigne la hausse de près de 5 points de leur taux de chômage, qui s’établissait à 11,7 % en septembre 2024.
Compte tenu du nouveau plan démographique du gouvernement, nous avons revu à la baisse notre prévision de croissance de la population active d’environ 0,5 % en 2025 et en 2026 par rapport à notre prévision de base précédente (graphique 5). Bien que plus de 40 % des RNP devraient obtenir le statut de résident permanent l’an prochain, les autres quitteront le pays. Et comme les cibles pour les résidents permanents sont abaissées, une bonne partie de ces places seront prises par des RNP devenus des RP. Il reste donc moins de places pour les immigrants économiques qui entrent au pays en utilisant les programmes traditionnels. Soulignons que, d’un point de vue relatif, l’immigration de travailleurs qualifiés (programme fédéral) ne sera pas aussi durement touchée que les autres catégories d’immigration. Quoi qu’il en soit, la baisse prévue de l’offre de travailleurs étrangers exercera des pressions à la baisse sur la population active et entraînera probablement un repli modéré du taux de chômage national au cours des prochains trimestres.
La stagnation de la croissance de la population aura nécessairement des répercussions sur les perspectives des dépenses de consommation au Canada. Toutefois, l’effet net sur les dépenses totales ne devrait pas être important. En effet, le ralentissement de la croissance du nombre de ménages devrait être compensé par une augmentation des dépenses par ménage. Les résidents temporaires dépensent habituellement moins que la moyenne sur une base continue, malgré certaines dépenses initiales pour s’établir. Un autre facteur qui devrait compenser cet effet est l’influence du cycle de réduction des taux de la Banque du Canada (BdC). Au cours des deux dernières années, de nombreux ménages canadiens ont réduit leurs dépenses en raison des taux élevés. Or, malgré la mauvaise surprise pour ceux qui renouvelleront leurs prêts hypothécaires à des taux qui demeurent supérieurs à ceux de 2020-2021, les dommages seront moins importants qu’on ne l’avait d’abord imaginé, et les taux des nouveaux prêts hypothécaires/prêt-auto/lignes de crédit sont en baisse. Cela devrait stimuler la demande de logements et de produits coûteux et libérer le pouvoir d’achat de la population canadienne actuelle qui attendait le retour des beaux jours. Tout bien considéré, notre prévision des dépenses de consommation table toujours sur une croissance modérée au cours des deux prochaines années, même si elle a été amputée de quelques dixièmes de pourcentage par rapport à notre prévision précédente (graphique 6).
En ce qui concerne l’habitation, c’est sur le marché locatif que les effets de ces changements devraient être le plus manifestes. Dans la région du Grand Toronto, les loyers sont déjà en baisse sur 12 mois (plombés par une vague de logements locatifs nouvellement achevés), sans compter ce choc de demande négatif imminent. Les données sectorielles laissent croire que la croissance des loyers ralentit également dans des endroits comme la Colombie-Britannique et le Québec, et la politique du gouvernement fédéral ne fera qu’exacerber ces tendances. Par conséquent, l’attrait de ces unités comme propriétés productives de revenus diminuera, ce qui pèsera probablement sur la demande des investisseurs.
L’impact direct sur la demande de propriétés résidentielles sera sans doute faible, étant donné que les résidents permanents et non permanents qui arrivent au pays sont pour la plupart des locataires. Toutefois, une croissance faible de la population pendant quelques années permettra aux constructeurs de combler l’écart important entre les logements achevés et la demande sous-jacente de logements neufs représentative de la population, qui a augmenté entre 2022 et 2024 (estimée à pas moins de 575 000 unités). Par contre, cet écart devrait se resserrer sans être complètement éliminé. On peut donc penser que cette nouvelle politique démographique ne sera pas, en soi, une panacée au problème d’abordabilité du logement au Canada, même s’il s’agit d’un pas dans la bonne direction de ce point de vue.
D’autres facteurs pourraient aussi limiter l’impact des réformes et compenser en partie leurs effets positifs. Comme les pressions sur le logement et les infrastructures sont moins fortes, les pressions inflationnistes diminueront davantage, ce qui aidera la BdC à normaliser son taux directeur. De plus, si les gains de productivité ne compensent pas l’offre réduite de main-d’œuvre, la production potentielle de l’économie canadienne sera revue à la baisse, auquel cas l’estimation de la BdC du taux neutre sera probablement aussi revue à la baisse, laissant entrevoir une diminution des taux à moyen terme.
La réduction de l’accès à des immigrants temporaires à faible salaire incite aussi davantage les entreprises à investir dans l’automatisation, un segment qui accuse un retard considérable par rapport aux États-Unis depuis quelques années. La réorientation des plans de production de la main-d’œuvre vers le capital pourrait contribuer à faire augmenter légèrement la productivité au Canada dans les prochaines années.
Bien que les changements apportés à la politique d’immigration risquent de faire émerger un certain nombre de forces contraires sur le plan macroéconomique, certains ajustements propres aux secteurs devraient être particulièrement remarquables. C’est le cas notamment du secteur de l’enseignement postsecondaire, qui est déjà frappé par un gel des frais de scolarité dans certaines provinces comme l’Ontario. Une réduction marquée du nombre de permis d’études internationaux au cours des prochaines années accentuera cette pression financière, ce qui menace le bassin de talents futurs du Canada.
Conclusion
Malgré cette rupture avec le statu quo, nous ne prévoyons pas d’effets négatifs importants pour l’économie canadienne dans l’ensemble. Les changements vont sans aucun doute créer certaines perturbations économiques à court terme, en particulier en ce qui concerne l’offre de main-d’œuvre et la consommation. Toutefois, d’autres facteurs importants exerceront un contrepoids, notamment la diminution de l’inflation des loyers, les mesures incitatives plus généreuses pour inciter les entreprises à investir et la normalisation potentiellement plus rapide des taux directeurs.
À long terme, l’immigration demeurera essentielle pour compenser les effets du vieillissement de la main-d’œuvre. Au cours des dernières années, le système a cessé de mettre l’accent sur la sélection du capital humain et les compétences recherchées à long terme afin de répondre aux besoins immédiats du marché du travail. Ces réformes marquent un retour dans la bonne direction.
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