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Niveau de vie : le Canada fait mauvaise figure

Marc Ercolao, économiste

date publiée: 13 julliet 2023

 

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Faits saillants

  • Malgré une croissance solide ces dernières années, le Canada affiche un niveau de vie (PIB réel par habitant) inférieur à celui des États-Unis et d’autres économies avancées. 
  • L’écart s’est creusé après l’effondrement des prix du pétrole de 2014-2015 et s’est maintenu à la suite de la pandémie. En outre, la situation ne semble pas vraiment vouloir s’améliorer. 
  • On pourrait être tenté d’imputer la baisse du PIB réel par habitant du Canada à l’accroissement rapide de sa population, qui a pour effet d’augmenter le dénominateur du ratio. Le problème tient toutefois davantage à l’insuffisance de la croissance du numérateur, elle-même attribuable aux problèmes de productivité qui affectent le pays depuis des années. 
  • Au niveau provincial, les économies riches en ressources naturelles (Alberta, Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador) affichent toujours les PIB par habitant les plus élevés, mais leur avance a diminué au cours de la dernière décennie. Depuis la fin de la pandémie, les seules provinces à avoir renoué avec leur PIB par habitant de 2019 sont la Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard.
Le graphique 1 illustre la croissance annuelle du PIB du Canada et des pays du G7 de 2011 à 2019 et de 2020 à 2022. De 2011 à 2019, elle s’est établie à 2,2 % en moyenne au Canada, soit un chiffre conforme à la croissance des États-Unis et supérieur à celle enregistrée dans les autres pays. De 2020 à 2022, la croissance annuelle du PIB du Canada est retombée à 1,1 %; elle a donc été inférieure à celle des États-Unis (1,7 %), mais est restée supérieure à celle des autres pays du G7.

À l’aune d’une majorité d’indicateurs, le Canada affiche d’excellents antécédents de croissance économique. Même après le repli provoqué par la pandémie, l’économie s’est rapidement redressée sous l’effet du rattrapage considérable de l’immigration et d’une démographie robuste; l’effet s’est particulièrement fait sentir sur le marché de l’habitation et sur la consommation. C’est en grande partie grâce à l’effet positif de l’augmentation du nombre de ménages sur la demande et sur l’offre de main-d’œuvre que l’économie canadienne a pu résister, même lorsque la Banque du Canada a entrepris de resserrer radicalement ses taux. 

La croissance économique n’est pas nécessairement synonyme de prospérité économique. Le PIB global est une chose, mais le niveau de vie en est une autre, et lorsque l’on regarde la performance économique du Canada en tenant compte de la croissance de sa population, la situation est loin d’être idéale. Le retard du pays en matière de PIB par habitant ne date pas d’hier, mais il s’est encore aggravé depuis la pandémie. 

PIB réel par habitant : qu’est-ce que ça mange en hiver?

Le graphique 1 illustre la croissance moyenne des pays du G7 avant et après la pandémie. Le Canada y fait relativement bonne figure. Au cours de la décennie précédant la pandémie, sa croissance moyenne était presque identique à celle des États-Unis, à un peu plus de 2 % par année, contre une moyenne de 1,4 % pour l’ensemble du G7. Après la pandémie, et bien qu’il ait affiché certains des replis les plus marqués en 2020, le Canada est parvenu à enregistrer la deuxième croissance moyenne la plus rapide. Cette avance s’explique essentiellement par un accroissement démographique largement supérieur à celui des autres économies avancées, et ce depuis des années (graphique 2). L’écart entre le Canada et les pays du G7 s’est encore creusé depuis 2020. 

Toutefois, en raison de cette croissance démographique, le PIB réel par habitant du Canada se détériore, et ce, depuis de nombreuses années (graphique 3). Au début des années 1980, il dépassait la moyenne des économies avancées de près de 4 000 $ US et restait à peu près semblable à celui des États-Unis. En 2000, cette avance a complètement disparu et le PIB par habitant des États-Unis dépassait celui du Canada de plus de 8 000 $ US. Et, depuis le choc pétrolier de 2014-2015, le PIB réel du Canada n’a fait que se détériorer. Il n’a augmenté que de 0,4 % par année, ce qui fait pâle figure par rapport à la moyenne de 1,4 % des économies avancées.

Le graphique 2 illustre la croissance annuelle de la population au Canada et dans les pays du G7 de 2011 à 2019 et de 2020 à 2022. C’est au Canada que la croissance démographique moyenne a été la plus élevée au cours des deux périodes, à 1,1 % et 1,2 %, respectivement. Et c’est au Japon qu’elle a été la plus faible au cours des deux périodes, à -0,1 % et -0,3 %, respectivement. La moyenne pour les autres pays a été de 0,4 % pour la période de 2011 à 2019 (et de 0,2 % de 2020 à 2022). Le graphique 3 illustre l’évolution du PIB réel par habitant du Canada, des États-Unis et des économies avancées. En 1980, le PIB réel par habitant des économies avancées était de 26 650 $, celui du Canada était de 30 338 $ et celui des États-Unis était de 32 016 $. En 2022, le Canada affichait le PIB par habitant le plus faible (49 369 $), suivi des économies avancées (53 292 $) et des États-Unis, à 64 661 $.

Qu’est-ce qui peut bien expliquer cette dégradation du PIB réel par habitant?

On pourrait être tenté de jeter le blâme sur l’accroissement de la population, puisqu’elle a pour effet d’augmenter le dénominateur du ratio. Il s’agit toutefois d’une explication simpliste qui ne dit pas tout. La population canadienne progresse actuellement à un rythme record de 3 % sur 12 mois, mais ce n’était pas le cas jusqu’à récemment. La croissance démographique moyenne depuis 2020 (1,2 %) est en effet à peine supérieure à ce qu’elle était avant 2000. La baisse de la croissance du PIB réel, en revanche, s’est amorcée dans les années 1980. Le vrai coupable est donc l’insuffisance de la croissance du numérateur (le PIB réel). Autrement dit, au cours des décennies précédentes, le Canada était parvenu à conserver des taux de croissance du PIB plus élevés alors que la croissance de sa population était similaire à celle d’aujourd’hui.

Le problème tient à la baisse de la productivité, qui accable l’économie canadienne depuis de nombreuses années, malgré les efforts déployés par les autorités pour tenter d’y remédier. La productivité de la main-d’œuvre canadienne, mesurée selon le PIB réel par heure travaillée, est inférieure à celle des autres économies avancées, à commencer par les États-Unis. Malgré ses problèmes de productivité, le Canada a réussi à enregistrer un niveau de production plus élevé ces dernières années, grâce à un rythme de création d’emplois et d’heures totales travaillées difficilement tenable.

Les responsables du déficit de productivité du Canada

Le déficit de productivité du Canada est généralement attribué à un certain nombre de facteurs. Pour commencer, les investissements dans les structures non résidentielles, la machinerie et les équipements, et la propriété intellectuelle sont insuffisants depuis 2015. Ce sont des éléments qui contribuent à l’efficacité de la main-d’œuvre, et on constate que l’intensité du capital est beaucoup plus faible au Canada qu’aux États-Unis (graphique 4). 

Le problème est également attribuable à la baisse des dépenses en recherche et développement, qui se traduit par un déficit d’innovation. Au cours des 20 dernières années, les investissements en recherche et développement n’ont pas cessé de diminuer au Canada, alors qu’ils ont augmenté à différents degrés dans tous les autres pays du G7. La situation est d’autant plus grave que les investissements en recherche et développement étaient déjà faibles en pourcentage du PIB. En 2021, elles représentaient environ 1,7 % du PIB, une valeur plus de 50 % inférieure que celle des États-Unis et inférieure à celle de la plupart des autres pays (graphique 5).

Le déficit de productivité du Canada s’explique probablement aussi par la forte concentration de petites entreprises dans la production et l’emploi. Les sociétés de petite taille exportent et investissent généralement moins que les grandes entreprises. L’inefficacité de la réglementation et les politiques fiscales font également partie des éléments jugés défavorables à la productivité et à l’innovation au Canada.

Le graphique 4 illustre les dépenses en immobilisations par travailleur au Canada et aux États-Unis. Ces dépenses regroupent les investissements dans les structures non résidentielles, la machinerie et les équipements et la propriété intellectuelle. Les séries sont indexées à 100 au premier trimestre de 2000. Au premier trimestre de 2023, l’indice pour le Canada atteignait 113 (+13 % par rapport au premier trimestre de 2000) et celui des États-Unis atteignait 162 (+62 %). L’indice pour le Canada a culminé à 145 au quatrième trimestre de 2014 et est descendu jusqu’à 92 au premier trimestre de 2002. Le graphique 5 compare les dépenses en recherche et développement (en pourcentage du PIB) du Canada et des économies du G7 de 2001 à 2021. En 2021, les États-Unis étaient le pays qui dépensait le plus en recherche et développement (3,5 %), suivi du Japon (3,3 %), de l’Allemagne (3,1 %), du Royaume-Uni (2,9 %), de la France (2,2 %), du Canada (1,7 %) et de l’Italie (1,5 %). Depuis 2001, les dépenses en recherche et développement en pourcentage du PIB pour l’ensemble des pays se situent dans une fourchette de 1,0 % à 3,5 %.

Les économies à forte intensité du capital s’en sortent mieux, mais sont plus lentes à se redresser

Les graphiques 6 et 7 illustrent l’évolution du PIB par habitant dans chacune des provinces. L’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador affichent toujours les PIB par habitant les plus élevés du fait de la forte intensité du capital dans le secteur pétrolier, qui est très important dans ces provinces. Leur avance a toutefois diminué depuis l’effondrement des prix du pétrole de 2014-2015, qui a en outre entraîné une baisse des nouveaux investissements dans les grands projets de ressources.

Depuis la fin de la pandémie, les seules provinces à avoir renoué avec leur niveau de PIB réel par habitant de 2019 sont la Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard. Elles restent toutefois en deçà de la moyenne nationale (qui, comme nous l’avons déjà indiqué, ne s’est pas encore complètement remise de la pandémie). 

Le graphique 6 présente le PIB réel par habitant de chacune des provinces en 2000 et en 2022, ainsi que le niveau national de 2022 (55 340 $). En 2000, c’est en Alberta que le PIB réel par habitant était le plus élevé (72 791 $) et à l’Île-du-Prince-Édouard qu’il était le plus faible (33 370 $). De même, en 2022, il était le plus élevé en Alberta (77 629 $) et le plus faible à l’Île-du-Prince-Édouard (41 744 $). Cette même année, l’Ontario affichait un PIB réel (54 552 $) à peu près égal à la moyenne nationale. Le PIB réel par habitant de la Colombie-Britannique était de 54 195 $ et celui du Québec était un peu plus bas, à 47 738 $. Le graphique 7 compare le PIB réel des provinces en 2023 à celui de 2015 et de 2019. En 2023, le PIB par habitant de la Colombie-Britannique est en hausse de 7,2 % par rapport à 2015 et est celui qui a le plus augmenté. C’est par ailleurs en Alberta que la baisse est la plus marquée, puisque son PIB par habitant a reculé de 4,5 %. Les seules provinces à avoir renoué avec leur PIB réel par habitant de 2019 sont la Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard (+0,8 % et +0,1 % respectivement). Le PIB réel par habitant de Terre-Neuve-et-Labrador est inférieur de 7,2 % aux niveaux de 2019; c’est la province où le recul est le plus marqué.

Pas d’amélioration en vue

Le graphique 8 illustre les prévisions d’évolution trimestrielle du PIB réel et du PIB réel par habitant jusqu’au quatrième trimestre de 2025. Selon nos estimations, au deuxième trimestre de 2023, le PIB réel devrait enregistrer une hausse de 1,1 % en rythme annualisé par rapport au trimestre précédent. La croissance devrait ensuite diminuer jusqu’à 0,2 % d’un trimestre à l’autre au premier trimestre de 2024, avant de remonter à 1,9 % en 2025. La croissance du PIB réel par habitant devrait toucher un creux au deuxième trimestre de 2024 (-1,7 % par rapport au trimestre précédent) et redevenir positive au premier trimestre de 2025. Au quatrième trimestre de 2025, le PIB réel par habitant devrait augmenter de 0,5 % d’un trimestre à l’autre.

Malheureusement, le niveau de vie ne semble guère vouloir s’améliorer au Canada. Le PIB réel par habitant a déjà diminué au cours des trois derniers trimestres et nos dernières prévisions montrent qu’il devrait continuer à reculer jusqu’à la fin de 2024 (graphique 8). Au cours des prochains trimestres, l’économie devrait subir un ralentissement cyclique au moment même où les flux de population devraient continuer à augmenter sous l’effet des ambitieuses cibles d’immigration fédérales. Le Canada est par ailleurs un des rares pays avancés à ne pas avoir renoué avec son PIB par habitant d’avant la pandémie. À plus long terme, selon les prévisions de l’OCDE, la croissance du PIB réel par habitant du Canada devrait rester la plus faible de tous les pays de l’organisation jusqu’en 2060. En d’autres termes, si le Canada ne change pas fondamentalement d’orientation en matière de productivité et de croissance, son niveau de vie ne s’améliorera pas avant longtemps.

Conclusion

L’écart entre le PIB réel par habitant du Canada et celui des autres grandes économies ne cesse de se creuser et on ne peut plus faire comme s’il n’existait pas. Le problème est largement passé inaperçu, l’économie canadienne étant parvenue à occulter ses problèmes de productivité par une croissance alimentée par l’ajout de travailleurs qui risque de ne pas être tenable. C’est la baisse de la productivité de la main-d’œuvre qui reste le nœud du problème

Avis de non-responsabilité