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Remettre les pendules à l’heure en matière de commerce entre le Canada et les États-Unis

Marc Ercolao, économiste | 416-983-0686
Andrew Foran, économiste | 416-350-8927

date publiée: le 21 janvier 2025

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Faits saillants

  • Le Canada est le plus important marché d’exportation des États-Unis et constitue l’un des plus petits déficits commerciaux, en raison surtout de la demande américaine de produits liés à l’énergie. 
  • Le commerce dans le secteur de l’automobile est équilibré entre les deux pays.  Même si le président Trump pense que les États-Unis pourraient remplacer les exportations canadiennes d’automobiles par leur propre approvisionnement intérieur, la forte intégration des chaînes d’approvisionnement nord-américaines complique grandement les choses. 
  • Pour renverser la vapeur, le secteur canadien de la fabrication automobile pourrait prendre de l’expansion. Le Canada ne produit que 14 modèles d’automobiles, mais le marché canadien en compte 325. Les États-Unis produisent 121 modèles sur les 328 modèles utilisés par les Américains.    
  • Pour ce qui est de l’affirmation de Trump selon laquelle les États-Unis versent au Canada des subventions de l’ordre de 200 milliards de dollars américains par année, il n’est pas clair d’où provient ce chiffre.  De toute façon, il ne s’agit pas d’une subvention, car le déficit commercial des États-Unis est le résultat de leur rendement économique supérieur par rapport à d’autres pays. 

À l’heure où les Canadiens se préparent à une longue période de négociation d’accords dans le cadre de la stratégie tarifaire du président Trump, voici un aperçu des enjeux et des faits qui sous-tendent la rhétorique.

En plus des préoccupations liées à la sécurité des frontières, Trump a soutenu que les États-Unis ne pouvaient plus subir les énormes déficits commerciaux dont le Canada a besoin pour rester à flot, alléguant que les États-Unis subventionnaient le Canada à hauteur de 200 milliards de dollars américains par année.  Jusqu’à quel point le déficit est-il énorme et cet argument de subvention est-il bien fondé?

Le Canada est le deuxième partenaire commercial en importance des États-Unis, mais le premier marché d’exportation

Au cours des trois premiers trimestres de 2024, des marchandises d’une valeur approximative de 800 milliards de dollars canadiens (600 milliards de dollars américains) ont traversé la frontière entre le Canada et les États-Unis. Si l’on inclut le commerce des services, le total est porté à 910 milliards de dollars canadiens (683 milliards de dollars américains). 

  • Cela équivaut à des importations et des exportations totales de 3,6 milliards de dollars canadiens chaque jour. 
  • Seul le Mexique surpasse le Canada (graphique 1). 
  • Mais pour ce qui est du pays qui achète le plus de produits américains, le Canada est de loin le plus important marché; près de 350 milliards de dollars américains de produits et services ont traversé la frontière canadienne au cours des trois premiers trimestres de 2024. (Graphique 2) Trente-quatre États américains vendent plus de produits au Canada que toute autre économie étrangère.
  • Les échanges commerciaux entre les États-Unis et le Canada sont fortement intégrés. La plupart des exportations canadiennes sont des intrants utilisés par des entreprises américaines dans leur propre production, plus que dans le cas d’autres partenaires commerciaux1.  Par conséquent, une part plus qu’importante des répercussions tarifaires négatives sur les importations en provenance du Canada serait attribuable aux chaînes d’approvisionnement et à la productivité des entreprises, ce qui entraînerait une hausse des coûts et des pressions inflationnistes au niveau du commerce de détail.
Le graphique 1 montre le total des échanges entre les États-Unis et leurs principaux partenaires commerciaux entre janvier et septembre 2024. Le Canada se classe deuxième derrière le Mexique (705 milliards de dollars) avec un total de 683 milliards de dollars d'échanges bilatéraux. La France se classe au 10e rang avec 119 milliards de dollars. Le graphique 2 montre les exportations totales des États-Unis par pays entre janvier et septembre 2024. Le Canada est le premier partenaire des États-Unis en matière d'exportations, avec 330 milliards de dollars.

Dans une perspective américaine, les échanges commerciaux avec le Canada sont équilibrés 

  • D’après les données de Statistique Canada, l’excédent commercial du Canada avec les États-Unis était en voie d’atteindre 100 milliards de dollars canadiens en 2024, ce qui représente 3,2 % du PIB canadien.
  • Toutefois, les États-Unis jouissent d’un avantage sur le marché des services, principalement parce que les Canadiens traversent la frontière américaine.  Cet effet réduit l’excédent commercial à 85 milliards de dollars canadiens, soit 2,8 % du PIB canadien (graphique 3).
  • Si l’on examine la situation commerciale du point de vue des États-Unis, on obtient des résultats plus modestes, en partie en raison de différentes mesures des données. Selon les données du Census Bureau, les États-Unis devraient enregistrer un déficit commercial d’environ 45 milliards de dollars américains avec le Canada en 2024 (soit à peine -0,2 % du PIB américain). En dollars canadiens, au taux au comptant, cela représenterait 65 milliards de dollars. 

Depuis Trump 1.0, la position commerciale des États-Unis s’est érodée par rapport au Canada

  • Le déficit commercial des États-Unis avec le Canada s’est détérioré depuis le premier mandat de Trump, un fait que le président, qui menace d’utiliser les droits de douane comme principal outil de politique internationale, prend probablement en compte.  
  • En effet, entre 2016 et 2020, les États-Unis ont enregistré un modeste excédent annuel moyen avec le Canada d’environ 20 milliards de dollars américains. 
  • Cet affaiblissement de la position des États-Unis à l’égard du Canada s’explique en partie par la performance supérieure de l’économie américaine depuis la pandémie et par l’augmentation importante des exportations d’énergie canadiennes vers le sud. 
  • Malgré cette perte de terrain, le déficit commercial des États-Unis avec le Canada demeure inférieur à son record de près de 75 milliards de dollars américains en 2005 (graphique 4).   
Le graphique 3 montre la balance commerciale du Canada avec les États-Unis pour les biens, les services et le total. En 2024, la balance commerciale du Canada affiche un excédent de 99 milliards de dollars. En ce qui concerne les services, le Canada enregistre un déficit de 15 milliards de dollars avec les États-Unis. L'excédent commercial total du Canada avec les États-Unis s'élève donc à environ 84 milliards de dollars en 2024. Le graphique 4 montre le déficit commercial des États-Unis avec le Canada en valeur et en pourcentage du PIB. Le déficit commercial des États-Unis pour 2024 est en passe d'atteindre 45 milliards de dollars (soit -0,2 % du PIB des États-Unis). C'est en 2005 que le déficit américain avec le Canada a été le plus important, avec 63 milliards de dollars (soit -0,5 % du PIB américain).

Le déficit commercial des États-Unis avec le Canada se classe à l’avant-dernier rang parmi les partenaires commerciaux 

  • Le graphique 5 compare le Canada à d’autres grands pays. 
  • Le manque à gagner d’environ 45 milliards de dollars américains avec le Canada en 2024 le place à l’avant-dernier rang, avant la France seulement. Ce montant ne représente que 4 % du déficit commercial global des États-Unis. Par conséquent, une réduction des importations canadiennes ne changerait pas vraiment les choses.  
  • Le déficit commercial des États-Unis avec le Canada correspondait à 1/8 du déficit avec la Chine et à 1/5 du déficit avec le Mexique.  

Les États-Unis enregistrent un excédent commercial avec le Canada dans le secteur de l’automobile 

  • Un fait qui n’est pas bien connu : les États-Unis sont un exportateur net de produits manufacturiers au Canada, en particulier de véhicules et de pièces automobiles.
  • Le secteur de l’automobile est l’exemple parfait du commerce intégré entre les deux pays, ainsi que le Mexique. Les pièces d’automobiles nord-américaines traversent les trois frontières jusqu’à sept à huit fois avant l’assemblage final d’un véhicule2
  • Pour ce qui est de l’assemblage final, le Canada fournit environ 8 % à 9 % de ce que les Américains consomment chaque année, tandis que le Mexique en fournit près de 20 %, la production américaine satisfaisant à environ 50 % des besoins.
  • Compte tenu de cette forte intégration, le secteur de l’automobile serait confronté à certains des effets négatifs les plus importants des tarifs douaniers. 
  • Selon certaines estimations, le prix moyen des voitures sur le marché du commerce de détail aux États-Unis pourrait augmenter d’environ 3 000 $, mais cela dépendrait des mesures de rétorsion prises par les deux partenaires commerciaux.  En cas de mesures musclées, de graves perturbations commerciales et d’importantes conséquences économiques se produiraient, ce qui entraînerait un effondrement de la demande dans les trois pays

Les États-Unis pourraient-ils remplacer l’offre d’automobiles au Canada en augmentant la production intérieure?

  • Le président élu a récemment dit ceci : « Le Canada fabrique 20 % de nos voitures.  Ce n’est pas ce qu’on veut. Je préfère les construire à Détroit. »
  • La part des véhicules vendus aux États-Unis qui sont produits au Canada est gonflée d’environ 10 points de pourcentage. Les États-Unis pourraient envisager de transférer cette partie de la production du côté des États, mais cela poserait d’importants défis à court et à moyen terme pour remplacer des exportations annuelles canadiennes d’environ 1,5 million d’unités.
    • Pour combler cet écart, les États-Unis devraient augmenter leur production de plus de 10 % par rapport au niveau actuel.  Compte tenu de la capacité de production moyenne de 225 000 unités des usines de montage existantes, environ six nouvelles usines seraient nécessaires.  La pleine délocalisation de toute la production hors États-Unis nécessiterait une hausse de 75 % de la production américaine et de nouveaux investissements de plus de 50 milliards de dollars.   
Le graphique 5 montre les pays avec lesquels les États-Unis ont un déficit et la part qu'ils représentent dans le déficit total des États-Unis. Le Canada se classe au 9e rang, ne représentant que 4 % du déficit commercial américain. La Chine, le Mexique et l'Allemagne représentent quant à eux plus de 60 % du déficit cumulé. Le graphique 6 montre le nombre de modèles de véhicules légers produits et consommés au Canada et aux États-Unis, respectivement. Le Canada ne produit que 14 modèles mais en consomme 325. Les États-Unis produisent 121 modèles et en consomment 328.

Cela ne tient pas compte de la délocalisation ou l’accroissement de la production de pièces pour l’assemblage de ces véhicules.  Sinon, les États-Unis augmenteraient leur dépendance à l’égard des importations de pièces. 

  • Cela se traduirait par des prix très élevés du côté des producteurs américains, surtout dans le cas d’une délocalisation complète.  
  • L’autre défi concerne le choix de véhicules pour les consommateurs américains. Stimuler les volumes de production est une chose. Offrir la diversité du choix de véhicules en est une autre.  Aux États-Unis, 328 modèles de véhicules différents ont été vendus l’an dernier, mais seulement 121 d’entre eux y ont été produits.
  • Et si nous remaniions l’argument du président élu? La production délocalisée au Canada pourrait-elle répondre à leurs besoins intérieurs et stimuler le secteur manufacturier?
  • Elle favoriserait encore plus la réorientation des usines, les chaînes d’approvisionnement et les choix des utilisateurs. À l’heure actuelle, le Canada ne produit que 14 modèles d’automobiles, et le marché canadien en compte 325 (graphique 6). En l’absence d’un changement radical dans les méthodes de production en vue d’instaurer des processus efficaces, diversifiés et à faible volume, le Canada devrait probablement consommer beaucoup moins de sortes de véhicules et produire tous ses véhicules.

L’énergie est à l’origine de tout le déficit commercial des États-Unis avec le Canada 

  • Le portrait du commerce change radicalement lorsque les flux commerciaux sont décomposés en composantes énergétiques et non énergétiques.       
  • L’an dernier, les exportations canadiennes de produits d’énergie (pétrole, gaz naturel et électricité) vers les États-Unis ont totalisé près de 170 milliards de dollars ou près du tiers des expéditions totales.  Par contre, l’énergie ne représentait que 6 % de toutes les importations américaines.  En d’autres termes, les sources canadiennes sont essentielles à la sécurité énergétique des États-Unis.   
  • Si l’on élimine les exportations d’énergie canadiennes de l’équation, le portrait commercial s’inverse. Abstraction faite de l’énergie, les États-Unis affichent un excédent commercial d’environ 60 milliards de dollars canadiens (45 milliards de dollars américains) avec le Canada. (Graphique 7)
  • L’avantage commercial du Canada dans le secteur de l’énergie a augmenté de façon constante au cours des dernières années, plus récemment grâce au prolongement de l’oléoduc Transmountain (TMX), qui a fortement stimulé les exportations de pétrole canadien vers la côte ouest des États-Unis, en plus des marchés asiatiques. 
  • Le pétrole brut canadien est un important fournisseur des usines de raffinage aux États-Unis, principalement dans le centre-ouest, et sa part sur la côte du golfe du Mexique ne cesse de croître. Comme de nombreuses raffineries ont été construites pour traiter le pétrole brut lourd canadien, il est difficile de délaisser cette matière première pour d’autres sources. Cela est vrai même pour la réserve stratégique de pétrole des États-Unis, qui est principalement composée de pétrole brut ordinaire. Les pays qui pourraient combler le manque sont le Mexique et le Venezuela, mais il faudrait que les sanctions visant ce dernier pays soient levées. Étant donné que le Mexique a le deuxième excédent commercial le plus important avec les États-Unis, ce changement dans la demande élargirait davantage ce gouffre, ce qui pourrait lui permettre de prendre le premier rang devant la Chine. 
  • Si les droits de douane étaient étendus au pétrole brut canadien, les prix de l’essence aux États-Unis pourraient immédiatement grimper de 0,30 $ à 0,70 $ le gallon. La fluctuation des prix de l’essence est l’un des facteurs les plus transparents et les plus sensibles à l’inflation pour les consommateurs.
  • Ailleurs, l’Ontario a aussi fourni directement de l’électricité à 1,5 million de foyers américains en 2023 et est un important exportateur d’électricité au Michigan, au Minnesota et dans l’État de New York.   
Le graphique 7 montre la balance commerciale totale des États-Unis avec le Canada, décomposée en balance commerciale énergétique et ex-énergétique. Les États-Unis accusent actuellement un déficit d'environ 86 milliards de dollars dans le commerce de l'énergie, mais un excédent d'environ 30 milliards de dollars dans le commerce hors énergie. 
Le graphique 8 montre la dépendance des États-Unis à l'égard du Canada pour l'importation de quatre minéraux clés. Les États-Unis importent du Canada 76 % du zinc, 75 % du tellérium, 56 % du nickel et 54 % du vanadium.

Le Canada est un important fournisseur de minéraux critiques 

Qu’en est-il de l’affirmation de Trump selon laquelle les États-Unis versent 200 milliards de dollars américains en subventions au Canada?

Conclusion

Certains points de données du présent rapport pourraient surprendre les lecteurs.  La plus grande partie du déficit commercial des États-Unis avec le Canada est attribuable à l’énergie. Mis à part cela, la balance penche en faveur des États-Unis. Même ces données ne seront pas suffisantes pour résister aux attaques commerciales qui déborderont le cadre du présent épisode. Au milieu de 2026, l’ACEUM fera l’objet d’un examen. Indépendamment des ententes qui seront conclues entre les pays, la leçon à tirer au Canada est qu’il n’y a aucune garantie contre de futures attaques tarifaires.  

Avis de non-responsabilité