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Les 100 premiers jours : étourdissements et confusion

Beata Caranci, première vice-présidente et économiste en chef | 416-982-8067

date publiée: 23 mai 2025

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Véritable tourbillon pour les prévisionnistes, les 100 premiers jours de Trump rappellent l’époque de la pandémie où l’on changeait les prévisions aux deux semaines en naviguant à vue, sans référence historique, en cherchant à suivre une actualité en perpétuelle évolution. 

À tout le moins, cette période-là a été forte en apprentissage.

Dazed and confused person

On aura appris que les droits de douane demeureront l’arme économique de choix, à une échelle qui dépasse tout précédent récent.

On aura aussi appris que même si l’administration finit par ne pas donner suite à ses menaces tarifaires, son objectif demeurera le même :

  1. Accroître l’autonomie du pays en matière de production, notamment dans des secteurs stratégiques comme les technologies, les produits chimiques, les ressources et les matériaux industriels.
  2. D’ailleurs, à se fier aux résultats initiaux dans le cas du Royaume-Uni et de celui de la Chine, j’avancerais même que l’objectif ultime est d’imposer un régime tarifaire plus élevé en permanence d’environ 10 %.

Ce taux tarifaire de base nous sert de référence prévisionnelle.

Pourquoi un taux de 10 % semble-t-il raisonnable?

Parce qu’il est suffisamment bas pour être partiellement absorbé dans la chaîne d’approvisionnement ce qui en limiterait la transmission aux prix à la consommation. Et c’est aussi une source de revenus pour l’État. Les États-Unis sont le seul pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sans taxe de vente nationale et sans réelle possibilité de susciter l’adhésion du public à une telle taxe. Sous le couvert de l’équité envers les travailleurs américains, la tactique des droits de douane vise 14 % de l’économie (c’est-à-dire, la part des importations) plutôt que l'opérations quotidiennes effectuées par l’ensemble des consommateurs. Si les importations demeurent constantes, les droits de douane généreront jusqu’à 3 000 milliards de dollars en recettes gouvernementales au cours des dix prochaines années pour financer les dépenses et les réductions d’impôt.

Cela signifie tout de même des prévisions économiques fortement compromises à court terme en raison des coupures effectuées par le DOGE, des hausses de droits de douane ainsi que de l’incertitude grandissante ressentie par de nombreuses entreprises autour des coûts d’exploitation. 

L'économie du Canada a rapidement plié sous la menace tarifaire. Les données objectives confirment un recul immédiat de la confiance des entreprises et des ménages. La question qui se pose maintenant est : dans quelle mesure les instances politiques peuvent-elles réagir face à la portée de la menace externe?

Résultats des 100 premiers jours

Commençons par les prévisions consensuelles, qui ne tiennent toujours pas compte de la trêve tarifaire de 90  jours entre la Chine et les États-Unis, contrairement aux nôtres.

Dans la foulée du « jour de la libération » du 2 avril, la croissance économique a encaissé partout une révision à la baisse de 40 à 60 points de base. La pause tarifaire avec la Chine, assurément bénéfique, améliorera les estimations, surtout dans les pays en récession technique. Toutefois, les prévisions à la baisse par rapport au dernier trimestre se maintiendront.

Un regard objectif sur la situation permet de conclure que : 

  1. les tarifs douaniers de 30 % sur les produits chinois sont plus élevés qu’avant l’arrivée de Trump, notamment le taux de minimis, qui passe de 0 % à 54 %. D’ailleurs, un détaillant importateur de jouets éducatifs chinois a bien résumé la situation en disant que la seule raison de se réjouir d’une hausse de prix de 30 % est de se rappeler qu’elle devait d’abord être de 145 %. L’an dernier, le taux était nul. 
  2. Des droits de douane de 25 % sont toujours appliqués sur l’acier, l’aluminium et les automobiles; 
  3. une série d’enquêtes est en cours en vertu de l’article 232 sur la sécurité nationale, visant les semi-conducteurs, le cuivre, le bois d’œuvre, les produits pharmaceutiques, les camions et les minéraux critiques transformés. Même les productions cinématographiques sont visées, ce qui renforce l’image d’une administration hautement imprévisible et très encline à repousser les limites.

Il y a donc lieu d’espérer que l’administration procédera par petits pas dans l’atteinte de ses objectifs, mais le contexte commercial demeure très incertain et les coûts s’additionnent. Et bien que le marché se comporte comme une entente avait déjà été conclue avec la Chine, ce n’est pas le cas; il n’y a qu’un accord pour en arriver à un accord, et en présence de deux négociateurs coriaces, les choses peuvent vite aller de travers.  

Résultats des 100 premiers jours  
 

Les droits de douane atteignent un niveau stupéfiant par rapport au passé

Ce graphique montre bien les coûts plus élevés et permet de comprendre pourquoi les prévisions sont à la baisse.

En termes de niveau de droits de douane, de nombreux analystes citent la loi Smoot-Hawley adoptée au début des années 1930 comme sommet précédent. Cependant, la vitesse du changement compte plus que le niveau.

En quelques semaines à peine, les droits de douane à l’importation ont bondi de 22 points de pourcentage, un niveau bien plus élevé que celui qu’on a observé pendant les années 1920 et au début des années 1930. Ce chiffre a été calculé la pause réciproque de 90 jours, et tenait encore compte des droits de douane de 145 % sur les produits chinois et de 25 % sur l’acier, l’aluminium et les automobiles, peu importe le pays d’origine. 

L’entente avec le Royaume-Uni n’a pas changé la donne, car ce pays ne représente que 3 % des échanges commerciaux des États-Unis.  Le sursis temporaire de 30 % accordé à la Chine a toutefois changé les choses. 

Malgré tout, le taux tarifaire effectif aux États-Unis a tout de même augmenté de 12 points de pourcentage, tout un choc de prix à encaisser pour les entreprises importatrices sur une très courte période. De plus, avec un taux de 15 % à l’échelle mondiale, on demeure proche du sommet atteint en 1933.

Les droits de douane atteignent un niveau stupéfiant par rapport au passé  

Le temps presse : les perturbations causées par les politiques

La désescalade avec la Chine nous montre que l’administration Trump prête attention aux manchettes et à l’humeur des marchés. 

Les contrecoups économiques se sont propagés rapidement, perturbant tant les expéditions que les choix des consommateurs. On croyait que le président Trump se fichait des fluctuations du marché? Pas si l’on se fie à sa déclaration au monde entier : « Mieux vaut acheter des actions! » 

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Tic tac… les entreprises et consommateurs américains pris d’angoisse

Ce graphique est sans doute source d’inquiétude pour l’administration, car il montre l’urgence de contrer la perte de confiance globale avant qu’elle ne se répercute sur les données objectives. 

Il est encore trop tôt pour ça. Les données objectives commencent à peine à prendre en compte les résultats d’avril, car certaines périodes de sondage ne s’étendent que jusqu’au milieu du mois. Tout changement de comportement d’envergure des entreprises se produira au cours des prochains mois.

Mais jusqu’à présent, les données sont solides, en particulier là où ça compte le plus : le marché de l’emploi. Il s’est créé 155 000 emplois en trois mois, ce qui est plus que suffisant pour maintenir le taux de chômage à un niveau stable. C’est également la raison pour laquelle la Réserve fédérale américaine (Fed) a souligné l’importance de surveiller la confiance des investisseurs, mais de ne pas intervenir tant qu’il n’y aura pas de corrélation directe avec les données objectives. 

Elle aura plus de difficulté à interpréter le graphique de droite. Il montre que les attentes d’inflation pour l’année à venir sont plus élevées que durant la pandémie. Idem pour les cinq prochaines années. La Fed aurait intérêt à se préoccuper davantage de ces chiffres, mais, encore une fois, elle privilégie l’attente en surveillant les données objectives.

Tic tac… les entreprises et consommateurs américains pris d’angoisse 1 Tic tac… les entreprises et consommateurs américains pris d’angoisse 2

Tic tac… les droits de douane se répercutent immédiatement sur les expéditions

Voici une donnée objective qui laisse peut-être présager un risque aigu d’inflation à venir. 

Les données quotidiennes sur les expéditions de conteneurs en provenance de la Chine à destination des États-Unis montrent un effondrement dans les jours qui ont suivi l’escalade réciproque des droits de douane au début d’avril. Tout ce qui n’était pas déjà à bord d’un navire et en mer après le 9 avril aurait été assujetti à un droit de 145 %. Sans surprise, cela a immédiatement bloqué l’offre.

Peu après, les chefs de la direction de Walmart et de Target ont fait état des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement et des étalages de magasin qui se vidaient. Par ailleurs, le livre beige de la Fed rapportait que les entreprises recevaient déjà des avis d’augmentation de prix de la part des fournisseurs. Ce sondage compile les réponses des entreprises dans les 10 jours suivant l’annonce de l’imposition de tarifs douaniers le « jour de la Llibération ».

Le temps presse donc pour mater l’inflation, car le consommateur a une mémoire d’éléphant lorsqu’il s’agit du coût de la vie.

Tic tac… les droits de douane se répercutent immédiatement sur les expéditions  

Isoler la Chine? Un casse-tête pour l’administration Trump

Malgré le sursis de 90 jours accordé à la Chine, il ne faut pas trop s’emballer. Il sera difficile d’en arriver rapidement à une entente.

Il faut savoir que la Chine entretient des liens économiques profonds. Ce graphique montre les exportations de chaque pays vers la Chine et vers les États-Unis en pourcentage de leur PIB. À l’extérieur de l’Amérique du Nord, plusieurs pays dépendent presque autant ou plus de la Chine que des États-Unis. Certaines régions, comme le Brésil, pourraient même tirer parti de l’escalade de la guerre commerciale, car la Chine s’y tourne pour acheter du soya et d’autres produits agricoles. 

Ces relations compliqueront les négociations et les tentatives américaines d’isoler la Chine derrière un mur tarifaire, que ce soit pour l’acier et l’aluminium, les puces d’intelligence artificielle ou encore d’autres cibles stratégiques. On le remarque déjà. Pour éviter de payer les droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium, le Royaume-Uni a accepté de sécuriser la chaîne d’approvisionnement en devenant propriétaire des installations de production pertinentes. L’objectif derrière ce jargon juridique est d’isoler la Chine de la chaîne d’approvisionnement. La Chine a déjà averti le Royaume-Uni que le fait d’accepter cette condition pourrait entraîner des mesures de rétorsion. Voilà le genre de dilemme auquel seront confrontés les pays qui cherchent à protéger leur marché d’exportation en essayant de servir deux maîtres.

Quant au nombre de coups que la Chine peut encaisser en cas de guerre commerciale… disons qu’elle a une forte tolérance.

Le graphique suivant montre que la Chine dépend des exportations vers les États-Unis dans la même mesure que les États-Unis dépendent du Canada et du Mexique. Par extension logique, si les États-Unis croient avoir du pouvoir sur le Canada et le Mexique parce que son économie souffre moins des droits de douane, la Chine pourrait servir le même argument aux États-Unis.

Isoler la Chine? Un casse-tête pour l’administration Trumpn 1 Isoler la Chine? Un casse-tête pour l’administration Trump 2

Mainmise de la Chine sur les minéraux critiques

Voilà une première raison pourquoi la Chine plie rarement l’échine. Et ce graphique en montre une deuxième : la mainmise de la Chine sur les principaux minéraux des terres rares. 

En effet, dans le cadre de la trêve de 90 jours, on rapporte que la Chine assouplira les contrôles à l’exportation qu’elle a imposés comme mesure de rétorsion en avril. Les restrictions de la Chine s’appliquaient à sept terres rares moyennes et lourdes dont elle détient le quasi-monopole. En revanche, là où l’offre en provenance d’autres pays était relativement diversifiée, la Chine s’est abstenue stratégiquement de toute mesure restrictive. 

Les terres rares illustrées dans ce graphique sont nécessaires dans les secteurs de l’aérospatiale, de l’énergie, des produits militaires et de l’automobile. Il s’agit là de domaines d’importance stratégique pour les États-Unis, ultime argument invoqué par l’administration Trump pour justifier un détournement de la Chine.

Les États-Unis mènent donc une stratégie à long terme et la Chine le sait.

 
Mainmise de la Chine sur les minéraux critiques

Une poussée inflationniste demeure le scénario de base

Malgré les ententes in extremis et l’optimisme des marchés, la conjoncture laisse toujours présager une hausse de l’inflation d’ici le troisième trimestre, car la hausse des coûts à l’importation finiront par faire leur œuvre.

Cet effet de décalage se voit dans les données d’avril de l’IPC américain, qui ont suscité beaucoup d’optimisme. À preuve, les véhicules : les prix étaient stables ou en baisse, car les concessionnaires écoulaient à grand renfort de publicité leur important stock. Toutefois, l’indice des voitures d’occasion de Manheim a été solide en avril, grimpant de près de 3 % en un seul mois. Selon la méthodologie de l’IPC, il faut environ deux mois pour voir poindre les premières indications d’un changement de cap. Il faudra donc attendre le mois de juin pour voir les premiers impacts tarifaires dans ce secteur.

Bref, les États-Unis ne seront pas en mesure de se protéger pleinement d’une hausse de 12 points de pourcentage des droits de douane tant que des ententes n’auront pas été conclues avec leurs principaux marchés d’importation, soit la Chine, le Canada, le Mexique et l’Union européenne. Ceux-ci représentent les trois quarts de leur commerce extérieur. Plus il faudra de temps pour conclure ces ententes, plus le risque sera grand que l’inflation ne se résorbe pas à temps pour se faire oublier des électeurs avant les élections de mi-mandat de 2026, ce qui crée une forte motivation pour l’équipe Trump de mener à bien ce projet.

Une poussée inflationniste demeure le scénario de base

Le rêve américain c’est de travailler à l’usine, n’est-ce pas?

Regardons les choses en face, la plupart des gens ne se soucient guère des changements qui n’ont pas d’impact sur eux ou sur leur famille.

Il y a donc des limites à raconter aux Américains qu’il faut augmenter les prix pour créer plus d’emplois dans le secteur manufacturier. La plupart d’entre eux sont bien d’accord sur le principe d’un secteur manufacturier qui tourne à plein régime, mais loin d’eux l’idée d’y travailleur eux-mêmes! Autrement dit, c’est un bon travail pour vous, mais pas pour moi.

Le rêve américain c’est de travailler à l’usine, n’est-ce pas?  

De nouveaux investissements? Oui, mais encore...

La situation est d’autant plus complexe que l’administration laisse miroiter des investissements de 5 000 milliards de dollars en Amérique grâce à sa politique tarifaire. Il y a fort à parier qu’elle aura du mal à impressionner l’Américain moyen, qui se voit peu dans cette statistique. 

Ces données, tirées du site Web de la Maison-Blanche, ne représentent pas des engagements immédiats, mais plutôt ceux qui sont prévus sur une période de quatre à cinq ans. De plus, ces engagements ne sont pas tous entièrement nouveaux, et certains sont plutôt nébuleux, comme ceux de pays comme les Émirats arabes unis, le Japon et l’Arabie saoudite. Par exemple, l’engagement du Japon à investir 1 000 milliards de dollars comprend l’achat de US Steel par Nippon Steel, transaction que les deux pays ont convenu de compter comme investissement plutôt que comme prise de contrôle.

Quoi qu’il en soit, on peut dire sans se tromper que les investissements augmentent, mais en marge et sur une période de plusieurs années, et que leur valeur est sans doute exagérée. 

On ne peut pas dire avec certitude dans quelle mesure cette activité profitera à l’économie ni dans quelle mesure les avantages ressentis par les électeurs seront suffisants pour acheter leur patience.

Prenons l’annonce il y a quelques semaines du transfert par GM d’un quart de production de camionnettes de l’Ontario vers l’Indiana. Ce faisant, l’entreprise a indiqué avoir créé seulement 25 nouveaux emplois, la plupart ayant été comblés par des travailleurs temporaires et des employés qui font des heures supplémentaires. GM a par la même occasion annoncé une réduction substantielle de ses investissements dans le but de préserver son capital. 

Bien sûr, les 25 travailleurs apprécieront leur nouvel emploi, tout comme les travailleurs temporaires, mais l’envergure est minime par rapport à nos profils d’emploi ou de consommation, particulièrement si les droits de douane font augmenter les prix des camions.

De nouveaux investissements? Oui, mais encore...

Une stratégie d’usure de la part de Donald Trump? Encaisser les coups pour mieux riposter

Tout cela nous conduit à nos hypothèses de prévision qui, pour se réaliser, nécessiteront une réduction des facteurs négatifs et une recrudescence des facteurs de croissance au cours de l’année. 

Nos prévisions à l’égard du PIB pour 2026 sont de 2 %, ce qui est actuellement supérieur au consensus de 1,5 %. Les événements récents laissent entrevoir une lueur d’espoir, mais la ligne d’arrivée est encore loin. Si les réductions d’impôt et d’autres mesures législatives doivent favoriser la croissance en 2026, la stabilité tarifaire est nécessaire. 

La plupart des prévisionnistes tiennent compte des effets inhibiteurs de croissance des droits de douane et des interventions du DOGE, mais pas nécessairement des accélérateurs de croissance, car leur portée et leur calendrier sont moins faciles à cerner. 

Au cours des prochains trimestres, je m’attends à un consensus de plus en plus positif et à des prévisions plus optimistes. 

Le discours évolue, mais nous présentons ici certains éléments du projet de la Chambre des représentants à titre indicatif. Nous prévoyons une hausse de 20 points de base de la croissance du PIB en 2026 en présumant des réductions d’impôt, mais dans la mesure où les droits de douane ne viennent pas en cannibaliser les avantages. En l’absence d’accords commerciaux importants, le coût de la vie pourrait grimper de jusqu’à 3 000 $ par année. 

On s’attend à une déréglementation en parallèle, mais l’impact sur l’économie et les investissements se fera sentir plus loin dans l’horizon prévisionnel. Bien sûr, si nous mettons de l’avant ces hypothèses, c’est qu’il y a une contrainte de temps : les élections de mi-mandat.

Une stratégie d’usure de la part de Donald Trump? Encaisser les coups pour mieux riposter

La Fed sera-t-elle prise au dépourvu? 

Ce scénario présente l’avantage de permettre une réduction des taux d’intérêt.

Le taux directeur est resté élevé, à 4,50 %, après des baisses de 100 points de base l’an dernier. À ce niveau, il demeure restrictif pour l’économie. L’an dernier, la Fed a procédé proactivement à des baisses dans le but de maintenir une longueur d’avance sur l’élan économique. Mais, après la mise en place des droits de douane, cette stratégie a fait place à une politique d’attentisme.

La perspective d’une hausse du taux de chômage et de pressions inflationnistes représente la pire combinaison pour une banque centrale dont le mandat est de lutter contre les deux. Nous prévoyons donc trois réductions de taux cette année, dont la première au troisième trimestre une fois les risques tarifaires étant suffisamment atténués. Toutefois, il s’agit de prévisions très fluctuantes qui devront être rajustées si notre scénario ne se concrétise pas.

En 2026, on s’attend à ce que la Fed ramène le taux directeur à un niveau neutre de 3 %, que l’économie enregistre une croissance d’environ 2 % et que les risques d’inflation s’atténuent. Le marché est, dans une large mesure, de cet avis. Toutefois, nous reconnaissons que ce scénario illustre un atterrissage parfait sur une piste enveloppée d’un épais brouillard

La Fed sera-t-elle prise au dépourvu?    

Prévisions décevantes pour le Canada

Pour ce qui est du Canada, les prévisions sont également revues à la baisse, mais à plus grande échelle. 

Les barres montrent notre point de vue en décembre, reflet d’une économie montrant des signes évidents d’amélioration. En mars, nous avons intégré à nos hypothèses l’imposition de droits de douane au Canada ainsi que leurs répercussions à long terme sur les investissements. Cette approche, bien que justifiée, ne s’est pas avérée suffisante après l’annonce de droits de douane réciproques, comme en témoignent les points représentant nos prévisions d’avril. 

Le taux tarifaire effectif au Canada serait d’environ 12 %, ce qui est supérieur à notre hypothèse initiale d’environ 5 %. Notre prévision est donc passée d’une récession technique à une récession officielle. 

Selon cette prévision, le taux de chômage culmine à 7,2 %, soit un rajustement de 100 points de base par rapport à la prévision de décembre, qui prévoyait une baisse du taux de chômage.

Prévisions décevantes pour le Canada   

Les menaces tarifaires minent la confiance des entreprises et créent de l’insécurité autour de l’emploi

Deux indicateurs brossent un tableau général de la situation : la confiance des petites entreprises et les attentes quant à la perte d’emploi au cours de l’année à venir.  Comme aux États-Unis, la confiance des entreprises et des ménages se détériore, mais la différence est plus marquée au Canada, les niveaux dépassant ceux qui ont été recensés dans les sondages menés pendant la pandémie.

Autre grande différence : la corrélation étroite entre les sentiments exprimés et les données objectives, ce qui n’est pas encore le cas au sud de la frontière.

Les menaces tarifaires minent la confiance des entreprises et créent de l’insécurité autour de l’emploi 1Les menaces tarifaires minent la confiance des entreprises et créent de l’insécurité autour de l’emploi 2  

La peur est réelle… 

Le marché de l’emploi progressait à la fin de l’année dernière, jusqu’à ce que la concrétisation de la menace de tarifs douaniers vienne y mettre un frein.

Bien qu’un gain de 7 000 emplois au Canada ait été enregistré en avril, cette hausse était attribuable à l’embauche dans le secteur public pour la période électorale. Dans le secteur privé, en revanche, l’embauche est davantage corrélée avec le cycle économique. Sur ce front, les entreprises ont supprimé 75 000 emplois en deux mois seulement, dont la moitié dans le secteur manufacturier. 

Selon nos prévisions, 100 000 autres emplois canadiens pourraient se perdre d’ici au troisième trimestre. Nous entrevoyons ensuite une stabilisation, dans l’hypothèse où les turbulences tarifaires se préciseraient et où le gouvernement canadien interviendrait énergiquement sur les grands axes de sa politique intérieure. 

La plateforme libérale prévoit des initiatives qui pourraient stabiliser le secteur manufacturier, voire y créer des emplois, si elles sont mises en œuvre adéquatement. Mentionnons entre autres un investissement direct de 2 milliards de dollars dans la création d’un réseau entièrement canadien de fabrication de pièces d’auto afin de limiter la dépendance à la production transfrontalière. 

D’autres initiatives pourraient renforcer indirectement la base manufacturière par la mise en place d’un corridor d’approvisionnement est-ouest destiné à accroître l’autonomie énergétique du pays et par l’accélération de la construction résidentielle au pays en relevant la capacité de production de maisons modulaires et préfabriquées. Le simple fait de respecter les engagements du Canada en matière de défense envers l’OTAN pourrait aussi créer des occasions dans le secteur de la fabrication de grande valeur.

Mais pour l’instant, il faut faire face au risque de pertes d’emploi, plutôt que de se préoccuper des gains éventuels.

La peur est réelle…

Marché canadien de l’habitation = perte de confiance immédiate

Le marché de l’habitation offre sans doute le meilleur exemple de la vitesse à laquelle le pessimisme s’est répercuté sur les chiffres réels. 

Ce marché très sensible aux taux d’intérêt a toujours été le moteur de l’économie au Canada. L’achat d’une propriété donne lieu, dans les mois qui suivent, à des achats connexes et des projets de rénovation.  

La Banque du Canada a réduit le taux du financement à un jour de 225 points de base depuis mai dernier, dont 100 points de base depuis novembre. Pourtant, les ventes de propriétés ont reculé de 20 % depuis novembre.

Le manque de confiance l’emporte sur les taux d’intérêt favorables . 

La Banque du Canada a répété à maintes reprises que’elle interviendrait uniquement lors de chocs liés à l’offre ou à la confiance, comme c’est le cas aujourd’hui. 
 
D’ailleurs, l’incertitude économique est si élevée au Canada que la BdC ressort les mêmes stratégies que pendant la pandémie. Elle ne fournit plus de prévisions ponctuelles, mais discute plutôt de scénarios.

Marché canadien de l’habitation = perte de confiance immédiate 1Marché canadien de l’habitation = perte de confiance immédiate 2

Nous continuons de penser que la BdC procédera à des réductions de taux avant la Fed

Nous sommes plus confiants à l’égard de nos prévisions selon lesquelles la Banque du Canada effectuera au moins deux autres baisses de taux cette années, qu’en nos prévisions concernant la Fed, même si Tiff Macklem a déjà fait plus que son homologue américain à cet égard. 

Nous pensons que le taux directeur passera à 2,25 % au cours de l’été, ce qui le situerait dans la fourchette neutre de la BdC, c’est-à-dire une politique monétaire qui n’aide ni ne plombe l’économie. S’il s’agissait d’un cycle économique normal où la détérioration dles perspectives d’emploi serait attribuable aux conditions financières, on ramènerait sûrement le taux directeur à moins de 2 %. Mais dans le cas présent, on reste sceptique compte tenu des commentaires du gouverneur Macklem sur la portée limitée que la politique monétaire peut avoir pour regagner l’offre perdue. 

De plus, dans la foulée des critiques formulées après la pandémie selon lesquelles la Banque du Canada et le gouvernement avaient aggravé le problème d’inflation, on peut s’attendre à ce que la Banque soit cette fois-ci très sensible aux politiques gouvernementales en soutien à l’économie.

Nous continuons de penser que la BdC procédera à des réductions de taux avant la Fed

Relâchement de la discipline budgétaire dans la lutte contre les menaces de Donald Trump

En ce qui concerne les politiques gouvernementales du nouveau gouvernement fédéral, ce graphique montre l’évolution du ratio de la dette par rapport au PIB sous les politiques libérales avant que le président Trump n’affirme vouloir écraser l’économie canadienne et faire du pays le 51e État américain. À chaque mouture du budget ou de l’énoncé économique de l’automne, la trajectoire baissière est restée inchangée.

Ce n’est plus le cas. La ligne pleine marquée « sans économies d’efficience » fait état d’économies qui auraient été réalisées grâce à une augmentation de la productivité de la fonction publique, mais qui, bien que directement indiquées dans la plateforme, restent toujours discutables.

Voici mon point de vue sur ce graphique, qui vous surprendra peut-être.

Une comparaison des dépenses proposées avant et après les menaces de Donald Trump indique une augmentation de la dette de 90 milliards de dollars. Ce montant est probablement trop faible pour atteindre la résilience économique nécessaire.

Relâchement de la discipline budgétaire dans la lutte contre les menaces de Donald Trump

Un défi de taille pour un nouveau gouvernement

En termes de marge d’action et d’échéancier, il ne reste plus que 20 jours ouvrables avant la pause parlementaire, qui durera jusqu’à la mi-septembre. 

Le gouvernement a confirmé qu’il ne déposerait pas de budget, mais il a déjà pris les mesures les plus simples, comme une baisse de 1 % du taux d’imposition sur la tranche de revenu la plus faible, et il procédera également à l’élimination de tout chevauchement fédéral de compétences provinciales qui pourrait constituer une barrière au commerce. 

C’est un peu décevant comme plan d’action, car ces deux mesures sont insuffisantes pour soutenir une économie déjà chancelante. Pour le contribuable moyen, l’économie d’impôt sur le revenu s’élèvera à environ 32 $ par chèque de paie toutes les deux semaines. Toutefois, le coût annuel de cette réduction est d’environ 5,6 milliards de dollars. Bien qu’elle reçoive les appuis des partis et des électeurs, cet argent ne saura augmenter les dépenses de consommation de façon significative. En période d’incertitude liée à l’emploi, les gens le mettront de côté.

On ferait mieux de dépenser au cours des trois à six prochains mois pour amortir le choc de confiance en attendant que le gouvernement déploie des programmes et des projets d’infrastructures complexes. Il s’agit habituellement de mesures qui incitent à la dépense au moyen de crédits d’impôt et de subventions d’une durée limitée, comme la rénovation de logements pour accroître la résilience aux changements climatiques, l’amortissement des primes versées par les entreprises et les congés de TPS sur les intrants d’affaires ou les achats au détail. 

Il faudra dépenser de 5 à 6 milliards de dollars en début de transition pour établir un plancher économique; en effet, si les mesures sont trop timides, la Chambre se retrouvera en septembre devant un Canada déjà en récession. Il n’en sera alors que plus difficile de contrer toute dynamique négative de l’emploi.

Tall Order For New Government 1
Tall Order For New Government 2

Réinventer le Canada coûte plus cher que 90 milliards de dollars

À long terme, le premier ministre Carney a la tâche ardue d’orchestrer une révolution industrielle de l’envergure d’un effort en temps de guerre. On doit élaborer des politiques qui protègent le Canada de futures agressions économiques américaines, qui ajoutent à l’autosuffisance du pays et qui approfondissent les échanges commerciaux avec d’autres marchés du monde.

Ce graphique compare le Canada à l’Australie et aux États-Unis par rapport à deux facteurs de référence. Le choix de l’Australie s’est imposé, car il s’agit d’un pays qui se compare bien au Canada de par sa dépendance aux ressources et sa taille. Toutefois, un coup d’oeil aux pays de l’UE donne des résultats somme toute semblables. En pourcentage de l’ensemble de l’économie, le Canada ne fait pas le poids sur le plan des investissements dans la défense et les affaires, en particulier dans le secteur de la propriété intellectuelle et du matériel. Et, sans surprise, il domine dans le logement et le commerce, un secteur où les États-Unis exercent une influence.

Dans un virage industriel idéal, les investissements et les politiques viseraient à faire grimper les barres de gauche en faisant croître l’ensemble de la tarte du PIB. Sur papier, la plateforme libérale pourrait y arriver. Il s’agit d’un ensemble disparate de grandes initiatives, qui englobent la facilitation d’investissements publics importants dans les infrastructures, l’énergie et la défense, la construction de nouveaux logements, voire une refonte de la structure fiscale des sociétés.

Mais le faire en creusant la dette de 90 milliards de dollars sur quatre ans? 

Pour mettre les choses en perspective, l’oléoduc Trans Mountain a coûté plus de 30 milliards de dollars. Le train à grande vitesse entre Windsor et Québec envisagé par le gouvernement libéral précédent prévoyait une phase initiale de conception de cinq ans au coût de près de 4 milliards de dollars. De plus, les coûts de construction d’un seul hôpital en Ontario se sont élevés de 1,7 milliard de dollars. N’oubliez pas non plus que le Canada n’a pas les ressources nécessaires pour s’éparpiller. Le gouvernement devra choisir ses priorités.

Naturellement, tout ne relève pas uniquement du gouvernement fédéral. Le secteur privé participe au financement, les provinces ont un rôle de concertation, et certaines initiatives nécessitent peu d’argent, comme la coordination des processus d’évaluation et de permis, pour accélérer l’exploitation des ressources. 

Mais il est possible que la dette soit sous-évaluée et que le profil de dette du Canada soit revu à la hausse.

Qu’est-ce que cela signifie?

Si les projets sont menés à bien et ajoutent à la production et à la productivité du pays, on aura bien dépensé et on rentrera bien dans son argent à terme. Il faudra toutefois s’attendre à un fléchissement important de la courbe dette-PIB dans les prochaines années. 

Toutefois, si les projets n’ont pas d’échéancier précise, amènent des dépassements de coûts et sont d’envergure insuffisante, le Canada pourrait devoir composer avec une révision à la baisse de sa note de crédit par les agences de notation, avec des taux plus élevés et des écarts plus importants par rapport aux marchés internationaux. À cela s’ajoute une vulnérabilité accrue face aux États-Unis.

Bref, le Canada s’apprête à entamer une vaste expérience qui ira bien au-delà des perturbations commerciales à court terme constatées actuellement, ce qui rendra ses perspectives économiques plus incertaines que celles des États-Unis.

Réinventer le Canada coûte plus cher que 90 milliards de dollars 1 Réinventer le Canada coûte plus cher que 90 milliards de dollars  2

Suffit-il de simplifier les approbations pour rentabiliser les projets?

Si on s’y prend comme il faut, les possibilités de croissance sont énormes au Canada.

L’an dernier, nous avons publié un rapport montrant que 41 projets d’exploitation de minéraux critiques représenteraient un potentiel de 500 milliards de dollars grâce à la réconciliation économique avec les peuples autochtones. De ce nombre, seulement quatre avaient reçu l’aval du gouvernement et avaient été confirmées publiquement; les autres étant rendus à diverses étapes du processus d’études, de demandes de permis et des consultations avec les Autochtones.

En plus de raccourcir les délais d’approbation au niveau fédéral, le premier ministre Carney s’est engagé à aller de l’avant avec le principe « Un projet, une évaluation » proposé dans le budget de 2024. Ce principe vise à réduire le dédoublement des évaluations environnementales et des processus de consultation des Autochtones requis par les différents paliers de gouvernement. Bien sûr, il faut être réaliste. La simplification des processus de délivrance de permis contribue à réduire les délais d’exécution des projets de développement minier, mais il faut quand même du temps pour obtenir du financement, entreprendre les travaux de construction et atteindre un niveau commercial de production. 

Mais il faut dire que le Canada est si déphasé par rapport aux autres régions du monde que toute amélioration est la bienvenue. Par ailleurs, il faudrait que les politiques visent un échéancier plus audacieux que la moyenne mondiale, pour offrir un avantage concurrentiel qui attire et accélère les investissements nécessaires.

Suffit-il de simplifier les approbations pour rentabiliser les projets?

Susciter l’optimisme

Le mot de la fin : des signes précurseurs d’optimisme émergent.

Pour le Canada, il a fallu une attaque économique de la part des États-Unis pour que la politique intérieure soit davantage axée sur les affaires et le développement... un virage fort souhaitable pour prévenir la lente détérioration de notre niveau de vie sur le long terme. Il reste maintenant à voir à l’exécution. 

Pour les États-Unis, l’optimisme réside dans l’art de négocier. Les revirements d’il y a quelques semaines face à la Chine donnent à penser que les États-Unis peuvent éviter le pire et renouveler leurs relations commerciales d’une manière somme toute raisonnable. Mais la voie à suivre reste tortueuse et exigera une main habile pour renouer avec une dynamique de croissance en 2026.

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